Les alternatives au bail commercial (bail dérogatoire, bail précaire, concession immobilière, etc.)
Question d’un client : quelles sont les alternatives offertes pour éviter la constitution d’un bail commercial sur un bien immobilier dont on est propriétaire ?
Réponse : tout dépendra si l’on souhaite percevoir une indemnité et la durée maximum que l’on envisage d’accorder.
Pour la perception d’une indemnité avec recherche d’une durée minimale : le bail de courte durée ou dit “dérogatoire” (3 ans maximum), le bail précaire ou plus précisément la convention d’occupation précaire (si la situation extrinsèque qui le justifie est de courte durée) souvent confondu avec le bail dérogatoire, la location-gérance (pour autant que le loueur soit propriétaire d’un fonds de commerce), l’apport en jouissance (l’indemnité étant alors aléatoire car dépendant de la distribution de dividendes), la fiducie.
Pour la perception d’une indemnité sans recherche d’un durée minimale : la convention d’occupation précaire (si la situation extrinsèque qui le justifie est indéterminée), la location-gérance (pour autant que le loueur soit propriétaire d’un fonds de commerce), l’apport en jouissance (l’indemnité étant alors aléatoire car dépendant de la distribution de dividendes), le bail emphytéotique (18 ans minimum, mais l’indemnité devrait être inférieure à la valeur locative commerciale), le bail à construction (18 ans minimum), peu connue, la concession immobilière (20 ans minimum), la fiducie.
Pas de perception d’indemnité : usufruit conventionnel, commodat ou prêt à usage (qui est “essentiellement” gratuit), le groupement d’intérêt économique.
Commentaires : chaque contrat présente des avantages et inconvénients. Certains d’entre eux seront abordés.
La convention d’occupation précaire n’est pas un bail (Cour de cassation, 19 novembre 2014, n° 13-20.089). Cela signifie que les parties doivent bien prévoir toutes les obligations de part et d’autre car les dispositions légales du code civil concernant le bail ne s’applique pas telles que l’obligation de délivrance du bailleur (Cour de cassation, 11 janvier 2024, n° 22-16.974) où la charge des travaux de vétusté sur le bailleur (Cour de cassation, 12 juin 1985, n° 84-12.214).
Le bail emphytéotique et le bail à construction constituent des droits réels qui peuvent, par exemple, faire l’objet d’une hypothèque ou d’une antichrèse (ou gage immobilier depuis 2009) au profit d’établissement de crédit pour bénéficier de financements. Ils peuvent même faire l’objet d’un crédit-bail immobilier. De tels droits réels étant reconnus pour la concession immobilière mais seulement sur les éventuelles nouvelles construction édifiées par le concessionnaire. En cas de nantissement du fonds de commerce, le droit réel n’est pas compris dans l’assiette du nantissement (contrairement au contrat de concession immobilière). Ces contrats prennent fin à l’issue de leur terme et ne se prolongent pas pour une durée indéterminée par tacite reconduction (baux emphytéotiques : L. 451-1 du code rural et de la pêche maritime ; baux à construction : L. 251-1 du code de la construction et de l’habitation ; concession immobilière : article 48 de la loi n° 67-1253). Le preneur n’a donc aucun droit au renouvellement ou à une indemnité. Contrairement à la concession immobilière, le contrat ne peut pas être cédé partiellement (sauf stipulation contraire).
Le bail à construction offre la possibilité de limiter l’usage du bien (contrairement au bail emphytéotique). Le principal inconvénient du bail à construction est que d’essence il doit comporter une obligation pour le preneur de construire (c’est ce qui le différencie fondamentalement du bail emphytéotique). Donc, s’il n’est pas dans l’intention des parties que le preneur fasse édifier des constructions, il ne peut constituer une alternative au bail commercial.
Le bail emphytéotique offre la possibilité de réviser la redevance comme pour les baux commerciaux et cette redevance ne peut être réduite en cas d’événements affectant le fonds. Le preneur est tenu de toutes les charges du bien (entretien, réparations, reconstruction sauf dans certains cas). Il ne peut réclamer d’indemnité en fin de bail pour les améliorations et constructions et n’a aucun droit à renouvellement ou indemnité. En revanche, il présente un risque et de nombreux inconvénients. Le risque est la requalification en bail commercial. En effet, les juridictions vérifient que les parties soient animées d’une intention de faire un usage effectif du régime du bail emphytéotique et non pour constituer une fraude à la loi (ce risque ne se retrouvant pas dans la concession immobilière dans la mesure où ce contrat a été expressément prévu par le législateur pour déroger au statut des baux commerciaux). S’agissant des inconvénients, la redevance (ou canon) ne peut normalement être égale à la valeur locative commerciale du bien (au risque de voir requalifier une nouvelle fois le contrat en bail commercial pour fraude à la loi). Le contrat ne peut pas stipuler une clause résolutoire ni empêcher le preneur de construire (contrairement à la concession immobilière), de changer la destination du bien (contrairement au bail à construction), ou de céder son bail (toute clause qui ne ferait qu’aménager cette cession en prévoyant par exemple un droit d’agrément pourrait disqualifier le bail). Il ne peut être stipulé une clause de solidarité entre le cédant et le cessionnaire du bail. Sauf s’il est exceptionnellement soumis à TVA, le bail emphytéotique est soumis à une taxe de publicité foncière de 0,70 % sur le montant cumulé des redevances (augmenté des charges imposées au repreneur) de toutes les années à courir (au même titre que la concession immobilière).
Le bail à construction permet de payer la redevance en nature (par exemple délivrance des constructions édifiées sur le bien immobilier) et les parties peuvent déterminer le sort des constructions en fin de bail notamment leur transfert sans indemnité au propriétaire (alors que pour la concession immobilière les constructions reviennent de plein droit au propriétaire qui doit éventuellement une indemnité au concessionnaire sauf pour les constructions des 5 dernières années).
La concession immobilière présente des avantages et des inconvénients (voir notre actualité spéciale sur cette question).
Avocat au barreau de Paris