Du bon usage de la prime d'émission dans les émissions avec maintien du droit préférentiel de souscription (avantages et inconvénients)

Pour certaines augmentations de capital avec maintien du droit préférentiel de souscription dont le montant est important, se pose parfois la question de ne pas libérer l’intégralité des sommes par des apports en capital. En effet, si le capital devient, par la suite, trop important, sa réduction, lorsqu’elle n’est pas motivée par des pertes, nécessite toute une procédure qui présente l’inconvénient de faire naitre un droit d’opposition des créanciers leur permettant de demander le remboursement immédiat de leur créance ou la constitution de garanties (SARL : L. 223-34 ; société par actions : L. 225-205 ; certains contrats obligataires : L. 213-6-3) ou d’entraîner des obligations (rachat des actions à dividendes prioritaires : L. 228-35-9).

La tentation alors est de prévoir volontairement une prime d’émission (L. 225-128 ), qui rappelons-le, est également possible lors de la constitution de la société (voir notre article). En effet, contrairement au capital, la prime d’émission peut être “remboursée” à tout moment sans qu’il soit nécessaire de respecter les obligations rappelées ci-dessus (droit d’opposition des créanciers, rachat des actions à dividendes prioritaires).

A noter : l’instauration d’une prime d’émission dans les augmentations de capital avec maintien du droit préférentiel de souscription n’est pas anormale en soi, y compris lorsque la société est unipersonnelle. La possibilité de prévoir une telle prime lors de la constitution d’une société en est la meilleure preuve (voir notre article). Comme le précisait admirablement bien un auteur “on aperçoit alors que l'existence de la prime d'émission ne peut être suspendue en toute circonstance à celle de bénéfices ou réserves au sein de la société. Sa seule fonction peut être de financer la société, sachant que la valeur de la prime d'émission se répercute intégralement dans les titres émis et préexistants. À financement égal, il importe peu que l'associé souscrive tout en capital ou partie en capital et partie en prime d'émission : le coût du financement de sa société et le coût de sa dilution sont dans les deux cas strictement identiques” (Renaud Mortier in Droit des sociétés, n° 7, juillet 2013, commentaire 114).

Il convient toutefois de rappeler quelques aspects de la prime d’émission pour bien appréhender cette option qui serait volontairement choisie.

Tout d’abord, en présence de minoritaire, la prime d’émission peut constituer une fraude à leurs droits si elle n’est pas justifiée dans son principe (Cour de cassation, 16 avril 2013, n° 09-10.583 et 09-13.651 ; également Cour de cassation, 12 mai 1975, n° 74-10.363 ; pour une fraude non avérée : Cour de Cassation, 22 mai 2001, n° 98-19.086).

Ensuite, contrairement au capital, la prime d’émission doit être libérée intégralement (L. 225-144).

A noter : à défaut, outre les conséquences sur les opérations d’augmentation de capital (L. 225-149-3) et la suspension des droits des porteurs (L. 225-150), des sanctions pénales peuvent s’appliquer vis-à-vis des dirigeants (L. 242-17).

Par ailleurs, il convient que les associés précisent lorsqu’ils fixent la prime d’émission qu’elle ne pourra pas être utilisée à d’autres fins que son affectation sur le compte “prime d’émissions” (en écartant notamment expressément les dispositions de l’alinéa 2 de l’article L. 232-9 du code de commerce).

En cas de “remboursement” de la prime d’émission (distribution), ce remboursement intervient normalement au profit de tous les associés et non pas seulement au profit de ceux qui l’ont versé.

A noter : cette problématique n’en est pas une lorsque le capital est stable, mais elle le devient si après le versement de cette prime d’émission un tiers vient à entrer au capital (soit par une augmentation de capital, sauf à lui faire payer une prime du même montant, soit par une cession des actions, sauf à intégrer dans le prix de cession le coût de la prime versée, ce qui peut toutefois avoir un effet fiscal non négligeable en terme de droits d’enregistrement et d’imposition de la plus-value).

La distribution de primes d’émission donne également lieu à certaines obligations vis-à-vis des porteurs de valeurs mobilières donnant accès au capital (L. 228-99).

Pour éviter cette répartition égalitaire ou les obligations y afférentes et orienter le remboursement de la prime d’émission à ceux qui l’ont initialement versée, il faudrait alors prévoir une stipulation particulière dans les statuts. Pour éviter que cette stipulation devienne un avantage particulier, il faut qu’elle soit rédigée de manière le plus neutre possible (en visant les porteurs d’actions et non les actionnaires ou associés ad nominem). Cela nécessiterait éventuellement de numéroter les actions pour pouvoir les individualiser et les identifier.

La décision de distribuer la prime d’émission, contrairement à la réduction de capital, est de la compétence, sauf stipulation statutaire contraire, des actionnaires ou associés statuant selon les formes prévues pour les décisions ordinaires ou autres que celles qui ne modifient pas les statuts.

A noter : rappelons que la notion de décisions ordinaires ou extraordinaires n’est prévue que pour les sociétés anonymes (SA : L. 225-96 et L. 225-98) et qu’elle n’existe pas pour les sociétés par actions simplifiées (SAS) sauf stipulation contraire des statuts. Si aucune stipulation particulière n’est prévue dans les statuts de la société alors la décision ressort, selon nous, du pouvoir du président (L. 227-9, al. 1 et 2).

Enfin, le remboursement de la prime d’émission n’est pas neutre fiscalement dans certains cas, contrairement au remboursement du capital et à ce que l’on pourrait parfois penser. En effet, ce remboursement est neutre à la condition que “tous les bénéfices et réserves autres que la réserve légale aient été auparavant répartis” (CGI, art. 112, 1°).

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 Matthieu Vincent

Avocat au barreau de Paris

Matthieu Vincent