Peut-on céder/vendre des actions ou titres nantis (c. mon., L. 211-20) ?

Question d’un client : peut-on céder/vendre des actions ou titres financiers (obligations, obligations convertibles, obligations remboursables, bons de souscription d’actions, etc.) qui ont été nantis au profit d’un créancier ?

Réponse : oui, mais le transfert de propriété ne pourra s’effectuer qu’à certaines conditions du fait du droit de rétention dont dispose le créancier nanti. Le transfert sans l’accord du créancier nanti pourrait néanmoins constituer le délit de détournement de gage.

Explication : le nantissement d’actions ou d’instruments financiers est un nantissement particulier puisqu’il porte non pas sur la chose nantie mais sur le compte sur lequel ces actions ou titres sont inscrits (L. 211-20) sauf, depuis 2018, pour les titres inscrits dans un dispositif d'enregistrement électronique partagé, comme une blockchain.

En effet, depuis la dématérialisation des actions (article 94, II de la loi n° 81-1160 du 30 décembre 1981 de finances pour 1982 et article 1er du décret n°83-359 du 2 mai 1983), la propriété des actions ou des titres financiers résultent (pour leur opposabilité aux tiers) en droit français, de leur inscription en compte, le “compte-titres” (L. 211-3 et L. 211-16).

Le nantissement se réalise alors sur un compte-titres spécial ouvert au nom du titulaire des titres (L. 211-20, II).

A noter : l’inscription en compte n’est pas une condition de validité du nantissement qui seul découle de la déclaration de nantissement (L. 211-20 précité, Cour de cassation, 23 janvier 2019, n° 16-20.582). Le droit de rétention du créancier nanti ( voir ci-dessous) naîtrait donc dès cette déclaration de nantissement.

C’est la raison pour laquelle, il est possible d’autoriser le débiteur à disposer des actions ou titres inscrits dans le compte sans que cela remette en cause le nantissement (L. 211-20, IV) le constituant du nantissement et le créancier nanti informant par écrit le teneur de compte (généralement la société) de cette disposition qui ne peut déroger aux instructions reçues sans l'accord du créancier nanti. (D. 211-13).

Le créancier nanti dispose, du fait de son nantissement, d’un droit de rétention (L. 211-20, IV) qui s’exerce par entiercement (corpore alieno, 2337 ) via le teneur de compte. Le droit de rétention permet ainsi au créancier nanti de ne pas se dessaisir du bien reçu en nantissement (en l’espèce les titres inscrits sur le compte-titres nanti).

Mais la dépossession par le débiteur des titres via le nantissement du compte-titres ne signifie pas qu’il en a transféré la propriété. C’est la raison pour laquelle un débiteur peut toujours céder les titres dont le compte a été nanti. Simplement, l’acquéreur, à cause du droit de rétention du créancier nanti, ne pourra entrer en possession des titres qu’il a acquis. Et, c’est là, la force du droit de rétention, puisque le teneur de comptes ne pourra inscrire en compte les titres acquis par le tiers, sans l’accord du créancier nanti.

Certes, la cession sera bien opposable entre les parties à la cession (opposabilité inter partes) mais non seulement l’acquéreur ne pourra pas entrer en possession des titres mais aussi cette cession ne sera pas opposable vis-à-vis des tiers (opposabilité erga omnes) parmi lesquels figure le teneur de comptes. L’acquéreur ne sera donc pas reconnu comme associé et ne pourra exercer ses pleines prérogatives d’associé (droits de vote, perception de dividendes ou autres revenus afférents aux titres, participation aux assemblées de la masse, exercice de certains droits relatifs au contrat d’émission, etc.).

En toute hypothèse, si l’acquéreur souhaite voir inscrire les titres à son nom, il devra alors convenir avec le créancier nanti d’une nouvelle déclaration de nantissement, puisqu’il sera devenu le titulaire du compte à nantir. Certains auteurs estiment que cette déclaration ne sera pas constitutive mais confirmative du nantissement, la nouvelle inscription ne constituant pas une sûreté nouvelle.

A noter toutefois qu’une cession des titres nantis en-dehors de l’accord du créancier nanti pourrait constituer le délit de destruction ou détournement de gage (article 314-5 du code pénal). On sait en effet que ce délit peut s’appliquer à des nantissement sur des biens incorporels (voir pour des recettes de film, Cour de cassation, 12 avril 1995, arrêt n° 94-82.970). Or, la Cour de cassation, pour des faits antérieurs à la dématérialisation des titres, a considéré que le délit été constitué du fait que “la cession est valable entre le cédant et le cessionnaire par le seul accord de leur volonté” alors même que “les droits du titulaire d'un titre nominatif sont indépendants de la détention du certificat nominatif correspondant et sont établis […] par une inscription sur les registres de la personne morale émettrice, la transmission s'opérant a l'égard de la personne morale et des tiers par un transfert sur ces mêmes registres après établissement par le cédant du bordereau de transfert […]” (Cour de cassation, 15 février 1983). Il convient donc d’être très prudent dans ce genre d’opération.

Matthieu Vincent

Avocat au barreau de Paris