Une décision de dissolution volontaire est-elle définitive et irrévocable (dissolution avec liquidation, TUP, fusions simplifiées) ?

Question d’un client : est-il possible de revenir sur une décision volontaire de dissolution d’une société ?

Réponse : il convient de distinguer deux hypothèses : 1° Pour les dissolutions volontaires avec liquidation il n’est pas possible de revenir sur la décision de dissolution (certitude) 2° Pour les dissolutions volontaires sans liquidation (c’est-à-dire les transmissions universelles de patrimoine à une personne morale ou les fusions simplifiées) il serait possible de revenir sur la décision tant que la transmission universelle du patrimoine n’est pas intervenue (incertitude toutefois).

Explications : s’il existe une jurisprudence établie en matière de dissolutions volontaires avec liquidation, on ne retrouve aucune jurisprudence en matière de dissolutions volontaires sans liquidation. Or, dans ce dernier cas les avis sont partagés.

1° Dissolutions volontaires avec liquidation

Il est clairement établi (cour d’appel de Paris, 5 juillet 2002, n° 2002/06359 ; Cour de cassation, 24 octobre 1989, n° 88-12713, cour d’appel de Paris, 20 décembre 1948*) que lorsque les associés ou actionnaires d’une société décident d’une dissolution en vue de liquider la société, ils ne peuvent plus remettre en cause leur décision. La dissolution est donc irrévocable. Pourquoi ? Parce que, à la lecture de l’article 1844-7 du code civil, dès lors que les associés décident une dissolution anticipée, la société “prend fin”. La société est alors en état de liquidation et ne “survit” que pour les besoins des opérations de la liquidation (articles 1844-8 et L. 237-2 du code de commerce).

Reste la question suivante : est-il possible de revenir sur la décision si celle-ci n’est pas connue des tiers c’est-à-dire si elle n’a pas fait l’objet de formalité particulière (enregistrement, publicité, dépôt). L’article L. 123-9 du code de commerce dispose que : “En outre, la personne assujettie à un dépôt d'actes ou de pièces en annexe au registre ne peut les opposer aux tiers ou aux administrations, que si la formalité correspondante a été effectuée. Toutefois, les tiers ou les administrations peuvent se prévaloir de ces actes ou pièces”. Il est donc délicat, dès lors que la décision a été prise, sauf à détruire l’acte qui constate la décision, ce qui pourrait être constitutif d’un délit pénal (destruction du bien d’autrui, faux, abus de confiance?), de le considérer comme inexistant car un tiers ou une administration pourrait l’invoquer a posteriori si elle le découvre.

Cette solution s’applique aux dissolutions décidées par un actionnaire ou associé unique personne physique puisque les dispositions relatives à la transmission universelle de patrimoine (c’est-à-dire la dissolution sans liquidation) ne lui sont pas applicables (article 1844-5, alinéa 4). La dissolution entraîne donc une liquidation.

A noter : à défaut de pouvoir revenir sur la dissolution, il est toujours possible alors (si la société est une société commerciale) d’utiliser la faculté de l’article L. 236-1, alinéa 3 du code de commerce aux termes duquel “Ces possibilités [fusions]sont ouvertes aux sociétés en liquidation à condition que la répartition de leurs actifs entre les associés n'ait pas fait l'objet d'un début d'exécution”. Il suffirait donc de créer une nouvelle entité et de la fusionner avec la société en cours de liquidation pour faire “revivre” la société dissoute (sous réserve du principe de la fraude aux droits des tiers).

A noter : si un cas de nullité de l’opération peut être invoqué, une voie consisterait alors à ce que les associés constatent amiablement la nullité (1178 du code civil) pour remettre en cause l’opération (sur l’application de ces dispositions aux actes des sociétés et les questions pratiques que cette application soulèvent notamment vis-à-vis des tiers et sur le parallélisme le des formes, voir N. Jillian, La nullité amiable en droit des sociétés, Bulletin rapide de droits des affaires, 18/23).

A noter : il existe un cas prévu par la loi où la dissolution peut être remise en cause, en cas de cession de parts sociales de société civile non agréée par les associés qui ont alors décidé de dissoudre la société, le cédant pouvant renoncer dans le délai d’un mois de la décision à la cession remettant en cause alors la dissolution (article 1863).

2° Dissolutions volontaires sans liquidation

La question est plus délicate car il n’y a pas de jurisprudence à notre connaissance.

Si l’on devait reprendre l’argumentation des juridictions en matière de dissolution avec liquidation, dans la mesure où la transmission universelle de patrimoine (TUP) ou la fusion simplifiée n’entraîne pas d’opérations de liquidation et donc de disparition irrévocable de la personne morale (qui ne subsiste que pour les besoins de la liquidation en cas de dissolution avec liquidation), l’associé ou actionnaire unique pourrait alors revenir sur sa décision tant que celle-ci n’a pas pris effet c’est-à-dire que la personne morale n’a pas encore disparu.

Or, on sait que pour les TUP ou les fusions simplifiées cette transmission ne prend pas effet à la date de décision mais dans un certain délai (voir notre article pour les TUP et l’article R. 236-2 du code de commerce pour les fusions simplifiées) qui est généralement trente jour après la réalisation de la formalité requise (publicité légale pour les TUP et dépôt au greffe du traité de fusion pour les fusions simplifiées).

La personne morale n’ayant pas encore disparu pendant ce délai, l’actionnaire ou associé unique pourrait alors revenir sur la décision de dissolution. La majorité du comité juridique de l’Association nationale des sociétés par actions (Ansa) est de de cet avis s’agissant des TUP (avis n° 06-038 du 5 juillet 2006 : “en raison de l’absence d’une procédure de liquidation, qui réduit la compétence des organes sociaux, rien n’interdit en droit à l’associé unique de revenir sur sa décision durant la période d’opposition des créanciers et moyennant une nouvelle publicité”). Il conviendrait donc de réaliser une publicité rectificative avant la fin du délai d’opposition pour les TUP. Pour les fusions simplifiées, il conviendrait de procéder à un dépôt et une publicité rectificative (puisque ces deux formalités sont effectuées).

A noter : dans la mesure où les oppositions empêchent la transmission du patrimoine dans l’attente de leur règlement, la position de l’Ansa ci-dessus devrait s’appliquer également en cas d’opposition à savoir qu’une publicité rectificative pourrait être faite aussi longtemps que les oppositions n’auront pas été tranchées par le tribunal, entraînant ainsi la remise en cause de la dissolution et la transmission universelle du patrimoine (le créancier opposant se retrouvant dans une meilleure situation au final puisque la dissolution est abandonnée). Ces solutions iraient dans le sens récent des modifications souhaitées par le législateur qui a, par exemple, modifié l’article 1844-6 du code civil (prorogation de la durée de la société) pour réduire les risques de dissolution irréversible d’une société en permettant au juge de “constater l'intention des associés de proroger la société” (modification apportée par la loi n° 2019-744).

A noter : le règlement par le tribunal des oppositions est soit le rejet, soit le remboursement de la créance, soit la constitution de garantie par la société. La transmission universelle du patrimoine intervient lorsque l'opposition a été rejetée en première instance ou que le remboursement des créances a été effectué ou les garanties constituées. En cas d’appel, il faudrait distinguer : si l’opposition a été rejetée l’appel n’aurait pas d’effet suspensif alors que si le tribunal a ordonné le remboursement ou la constitution de garanties, l’appel aurait un effet suspensif (l’article 1844-5 visant la “première instance” uniquement pour le rejet de l’opposition).

Un auteur, et pas des moindre (J.J. Daigre), estime qu’il faille faire une différence. La dissolution serait à l’égard de l’associé unique définitive (cour d’appel d’Amiens, 6 janvier 1969* cité notamment par le comité de coordination du registre du commerce et des sociétés sur une autre question). En effet, seuls les tiers (et ce serait l’objet du délai d’opposition qui retarde la fin de la société) pourraient se prévaloir de la survie provisoire de la personne morale et de la suspension provisoire de la transmission du patrimoine (La Semaine juridique, édition générale, n° 8, 19 février 1997, II, 22785; également Bulletin Joly sociétés, novembre 2002, § 254, p. 1191 : “Ce n’est pas le caractère d’ordre public de la liquidation qui est le nœud de l’affaire, mais le caractère définitif et irrévocable de la dissolution”). Cette distinction est subtile mais ce que les associés ont défait pourquoi ne pourrait-il pas le refaire d’autant plus que cela améliore la situation des tiers ?

La question n’ayant pas encore été tranchée par les juridictions à notre connaissance, elle reste donc incertaine.

A noter : la solution de la fusion dans une nouvelle entité pour faire renaître la société dissoute semble pouvoir s’appliquer aux sociétés dissoutes sans liquidation car si l’article L. 236-1, alinéa 3 vise les “sociétés en liquidation”, l’article 1844-4 du code civil vise les sociétés “même en liquidation” (ce qui n’est pas la même chose). Or, qui peut le plus, peut le moins, la liquidation intervenant après une dissolution, une société simplement dissoute pourrait bénéficier de la faculté prévue par l’article 1844-4 tant que son patrimoine n’a pas été transféré (sous réserve du principe de la fraude aux droits des tiers). Le texte se situant dans le chapitre Ier (« Dispositions générales ») il s’appliquerait quelque soit la forme de la société puisque conformément aux dispositions de l’article 1834 du code civil « Les dispositions du présent chapitre sont applicables à toutes les sociétés s'il n'en est autrement disposé par la loi en raison de leur forme ou de leur objet. » (on peut toutefois s’interroger si les dispositions de l’article L. 226-1 précitée ci-dessus, applicables uniquement aux sociétés commerciales, constitueraient une dérogation au sens de l’article 1834, signifiant alors que cette possibilité, en cas de dissolution sans liquidation, serait fermée pour les sociétés commerciales).

*Non revu.

Matthieu Vincent

Avocat au barreau de Paris