Dissolution sans liquidaiton : les transmissions universelles de patrimoine (TUP) au profit de sociétés étrangères (1844-5)

Question : une personne morale de droit étranger qui détient l’intégralité du capital d’une société française peut-elle (ou doit-elle) appliquer les dispositions de l’article 1844-5 du code civil qui imposent en cas de dissolution la transmission universelle du patrimoine, sans liquidation ?

Réponse : oui, elle serait même tenue de le faire du fait du caractère d’ordre public de l’opération en droit français quand bien même son droit interne ne reconnaîtrait pas une telle opération.

Explication : on sait que les dispositions de l’article 1844-5 du code civil seraient d’ordre public, c’est-à-dire qu’un associé unique personne morale qui déciderait de dissoudre une société n’aurait pas d’autre choix que la procédure visée à cet article : à savoir la transmission universelle du patrimoine (TUP) avec délai d’opposition au profit des créanciers.

Mais certaines législations (comme le droit belge par exemple), ne reconnaissent pas, contrairement aux opérations de fusion par exemple, la TUP prévue spécifiquement par le droit français. Dans ce cas, l’associé unique peut-il opter (ou doit-il opter) pour la TUP ?

Lorsque l’associé unique est une société de droit étranger, la jurisprudence française ne semble pas s’intéresser à la reconnaissance de l’opération dans le pays de l’associé unique mais reconnaît l’opération en droit français et ses effets c’est-à-dire la transmission universelle de patrimoine (voir une TUP au profit d’une société allemande : Cour de cassation, 2e chambre civile, 7 juin 2018, n° 17-14.694 ; Cour de cassation, chambre commerciale, 11 septembre 2012, n° 11-141 ; TUP au profit d’une société luxembourgeoise : cour d’appel de Bordeaux, 1ère chambre civile, 31 janvier 2019 – n° 17/04854 ; cour d’appel de Paris, Pôle 5, chambre 8, 27 novembre 2012 – n° 11/08861 ; TUP au profit d’une société de l’Etat du Texas : cour d'appel de Versailles, 11e chambre, 10 novembre 2011 – n° 10/01849). En d’autres termes, sur le sol français, l’associé unique étranger sera considéré comme ayant reçu l’intégralité du patrimoine de la société dissoute quand bien-même un tel effet ne serait pas reconnu dans le pays de l’associé unique (ce qui peut laisser présager des difficultés comptables et fiscales dans le pays de l’associé unique, notamment les conditions de reprises des actifs et des passifs au bilan voire en cas d’exécution d’un jugement français sur le territoire étranger une éventuelle contrariété à l’ordre public local). L’associé unique de droit étranger devra donc le cas échéant, s’il souhaite que l’opération soit opposable sur son territoire effectuer les éventuelles formalités nécessaires pour rendre opposable le transfert des actifs et des passifs (cumul des lois nationales).

La jurisprudence européenne reconnaît également l’opération (voir en matière fiscale Cour de justice de l’Union européenne, 1ère chambre, 8 mars 2017, aff. C-14/16, Sté Euro park service c/ min. des Finances et des comptes publics).

L’administration fiscale française reconnaît également les opérations de TUP au profit d’associé unique de droit étranger (voir article 210-A, IV du code général des impôts et BOI-IS-FUS-10-20-20, § 90 et suivants, les TUP étant assimilées fiscalement aux opérations de fusion, voir BOI-IS-FUS-10-20-10, § 20).

Il ressort clairement donc que les TUP peuvent être réalisées par un associé de droit étranger. Du fait du caractère d’ordre public de la TUP rappelé ci-dessus, on est même en droit de se demander si l’associé unique de droit étranger n’aurait pas d’autre choix quand bien même son droit interne ne reconnaîtrait pas une telle opération.

 Matthieu Vincent

Avocat au barreau de Paris