L’apport de la majorité des parts sociales d’une société civile immobilière (SCI) est-il soumis au droit de préemption urbain (L. 213-1 du code de l’urbanisme) ?

Question : dans le cadre d’une opération, nous avons été amenés à nous interroger sur le fait de savoir si l’apport (en propriété) de la majorité des parts sociales d’une société civile immobilière, propriétaire d’une unité foncière située dans une zone de préemption urbaine, était soumis ou non au droit de préemption urbain ? La réponse à cette question n’est pas anodine puisque la conséquence est la nullité de l’opération.

Réponse : selon notre opinion, un tel apport (en propriété) n’est pas soumis au droit de préemption urbain.

Explication : nous renvoyons à notre article sur les conditions d’application du droit de préemption urbain en cas de cession de la majorité ou plus de la majorité des parts sociales d’une société civile immobilière (ou les cessions conduisant un acquéreur à détenir la majorité des parts de la société). Quid en cas d’apport de la majorité ou plus de la majorité des parts sociales d’une société civile immobilière au lieu d’une cession ? Un apport est-il assimilé à une cession ?

On sait que l’article 1843-3 du code civil dispose que “Lorsque l'apport est en propriété, l'apporteur est garant envers la société comme un vendeur envers son acheteur.”. Est-ce que cela suffit pour assimiler l’apport à une vente ? Par un arrêt du 9 mars 2022, la Cour de cassation a répondu sans ambiguïté que “l’apport en propriété faite à une société, en contrepartie duquel sont attribués des droits sociaux, n’est pas une vente” (voir déjà en ce sens, Cour de cassation, 9 juin 2004, n° 01-13.349 ; pour un apport en jouissance requalifiée en vente, voir un arrêt ancien de la Cour de cassation du 6 décembre 1982 mais il s’agissait d’une pure question de fait (qualification) et non de droit).

L’apport de parts sociales d’une société civile immobilière ne peut donc être assimilé à une vente et donc à une cession de ces parts sociales.

Outre ces considérations de droit civil, la législation du code de l’urbanisme confirme cette interprétation. En effet, l’article L. 231-1-2 du code de l’urbanisme vise les apports de droits sociaux mais uniquement pour certains droits sociaux parmi lesquels ne figurent pas les parts sociales de société civile immobilière.

Par ailleurs, contrairement aux immeubles (L. 231-1, 1°), la loi vise, pour les parts sociales, les “cessions” et non les “aliénations, à titre onéreux”.

A noter : voir sur cette question de l’apport des immeubles, les débats sur l’application du droit de préemption urbain à l’apport partiel d’actif soumis au régime des scissions et la réponse ministérielle (Assemblée nationale, question n° 21133 et réponse du 15 octobre 2019) .

Enfin, la procédure de déclaration préalable (article L. 213-2 du code de l’urbanisme) vise “l'indication du prix et des conditions de l'aliénation projetée”, ce qui est difficilement conciliable avec un apport.

A noter : en effet, si un apport donne lieu à l’attribution de droits sociaux, on ne peut pas à proprement parler de prix. Certes, si les biens apportés font l’objet d’une évaluation (ce qui pourrait permettre de déterminer un “prix d’échange”) il convient de noter que cette évaluation reste une évaluation dont le commissaire aux apports (lorsqu’il est requis) ne confirme pas le montant mais simplement que “la valeur des apports correspond au moins à la valeur au nominal des actions à émettre augmentée éventuellement de la prime d'émission” (R. 22-10-8 du code de commerce). Par ailleurs, la contrepartie reçue peut être moindre que la valeur de l’apport par le jeu de la prime d’émission. Voir toutefois l’article R. 213-5 du code de l’urbanisme qui vise non seulement le prix mais aussi, le cas échéant “le prix d'estimation de l'immeuble ou du droit offert en contrepartie” ce qui pourrait correspondre à un apport.

A noter : dans un tout autre domaine, mais dont le raisonnement pourrait s’appliquer mutatis mutandis, la Cour de cassation a écarté le droit de préemption faute pour le préempteur d’être en mesure de pouvoir fournir le même avantage au cédant, à savoir l’attribution de droits sociaux et non le paiement d’un prix (Cour de cassation 4 mars 1971, n° 69-10.540 s’agissant du droit de préemption de l’article L. 412-1 du code rural ; voir également pour le droit de préemption des coindivisaires cour d’appel de Paris, 11 septembre 1997, n° 95/08657 et 96/19978).

Pour toutes ces raisons, nous sommes d’avis que les apports ne sont pas assimilables à des cessions et que l’opération n’est pas soumise à la procédure préalable visée à l’article L. 213-2 du code de l’urbanisme.

Matthieu Vincent

Avocat au barreau de Paris