Les actes conclus pour les sociétés en formation : société civile, SCI, SARL, SA, SAS, SCA (D. 78-704, art. 6, R. 210-5, R. 210-6)

Nous rappelons les règles ici des actes conclus (ou accomplis) pour les sociétés en formation tant celles-ci sont importantes et font l’objet, très souvent, de nombreuses erreurs, y compris de la part de professionnel.

Nous aborderons les règles en matière de société civile, de société à responsabilité limitée (SARL) et de société par actions sans offre au public autres que celle mentionnée au 1° ou au 2° de l'article L. 411-2 du code monétaire et financier ou à l'article L. 411-2-1 du même code (société anonyme ou SA, société par actions simplifiée ou SAS, société en commandite par actions ou SCA), car elles sont toutes différentes, ce qui accroit la complexité de la matière.

Par soucis pratique pour le lecteur, nous distinguerons trois périodes qui appellent trois régimes juridiques différents : avant la signature des statuts, après la signature des statuts mais avant l’immatriculation et après l’immatriculation de la société. Pour les deux premières périodes, nous distinguerons, comme le fait la réglementation, selon la forme de la société.

Règles générales (rappel)

Les personnes qui ont agi au nom d'une société en formation avant l'immatriculation sont tenues des obligations nées des actes ainsi accomplis, avec solidarité si la société est commerciale, sans solidarité dans les autres cas (pour les sociétés civiles : article 1843 du code civil ; pour les sociétés commerciales : L. 210-6 du code de commerce). La société régulièrement immatriculée peut reprendre les engagements souscrits, qui sont alors réputés avoir été dès l'origine contractés par celle-ci.

Nous allons voir que la procédure à respecter est très encadrée et formelle (jusqu’à un arrêt récent de la chambre commerciale de la Cour de cassation). A défaut, l’acte ne peut être opposé à la société et son ou ses associés peuvent en être personnellement responsables.

A noter : la reprise d’un acte ne peut être implicite par exemple par l’exécution de l’acte par la société (Cour de cassation, chambre commerciale, 1er avril 2003, n° 99-12.443). La reprise d’un acte n’emporte pas les autres actes qui y seraient liés selon le même principe de non-reprise implicite des actes (Cour de cassation, 30 mars 2023, n° 21-25.920).

AVANT LA SIGNATURE DES STATUTS

Société civile

D. 78-704, art. 6

Il convient d’établir un état des actes accomplis pour le compte de la société en formation (retenez bien les termes “pour le compte de” qui vont avoir leur importance). Cet état indique, pour chacun des actes, l'engagement qui en résulterait pour la société. Il est présenté aux associés avant la signature des statuts. Il est ensuite annexé aux statuts dont la signature emporte reprise des engagements par la société, lorsque celle-ci a été immatriculée au registre du commerce.

Commentaires : C’est généralement durant cette période (avant la signature des statuts) que les erreurs les plus fréquentes sont commises. Très (trop) souvent, on peut lire que la société (non encore constituée) est “représentée” (soit par le “futur” gérant, soit par un associe ou les associés). Or, on ne représente pas une personne qui n’existe pas (tant que la société n’est pas immatriculée, elle n’a pas la personnalité morale : voir 1842, alinéa 1). La Cour de cassation est intransigeante avec cette règle (Cour de cassation, 2 mai 2007, n° 05-14.071, voir également les arrêts ci-dessous des 18 novembre 2020 et 10 février 2021 ; voire toutefois un arrêt ancien pour la reconnaissance d’une simple maladresse, Cour de cassation, 4 juillet 2001, n° 99-20.667). Il convient donc d’écrire de manière quasi-sacramentelle soit le nom des associés Y, Z “agissant au nom” et/ou “pour le compte de la société X” soit la dénomination de la société X “ “au nom” et/ou “pour le compte de laquelle agissent les associés Y, Z” (Cour de cassation, 21 février 2012, n° 10-27.630 ; Cour de cassation, 11 juin 2013, n° 11-27.356) Les termes “au nom”, “pour le compte de” ou “au nom et pour le compte de” sont la clé pour rendre l’acte valable et opposable a posteriori. C’est souvent ces termes qui manquent et qui entraîne l’irrégularité de l’acte.

Mise à jour importante : voir ci-dessous pour les SARL.

A noter : la sanction est la nullité qui ne peut être confirmée même a posteriori par une reprise ou un avenant (Cour de cassation, 19 janvier 2022, n° 20-13.719).

A noter : dès lors que dans le contrat, il est indiqué que la société est “représentée” et non que ses associés agissent pour le compte de cette société, la Cour de cassation considère alors qu’aucune action contre l’associé ne peut être admise en cas de nullité ou de non reprise du contrat par la société (Cour de cassation, 18 novembre 2020, n° 18-23.239 ; Cour de cassation, 10 février 2021, n° 19-10.006). Il s’agit là d’une double sanction pour le cocontractant (il perd la société comme cocontractant et ne peut agir contre le ou les associés qui ont fondé la société et conclu l’acte).

A noter : le fait d’indiquer dans un acte que le signataire pourra se substituer la société en formation “X” ne suffit pas (Cour de cassation, 15 mai 2012, n° 11-16.069).

Société à responsabilité limitée (SARL)

R. 210-5 du code de commerce

Il convient d’établir un état des actes accomplis pour le compte de la société en formation (bien Retenir donc les termes “pour le compte de” qui ont leur importance comme indiqué ci-dessus). Cet état indique, pour chacun des actes, l'engagement qui en résulterait pour la société. Il est présenté aux associés avant la signature des statuts. Il est ensuite annexé aux statuts dont la signature emporte reprise des engagements par la société, lorsque celle-ci a été immatriculée au registre du commerce.

Les mêmes commentaires que pour la société civile s’appliquent.

Mise à jour importante : la chambre commerciale (mais non encore la chambre civile) de la Cour de cassation a rendu trois arrêts qui remettent en cause l’approche très (trop) formelle (sacramentelle) de la mention « au nom » ou « pour le compte » de la société en formation. La Cour de cassation a ainsi décidé : « En présence d'un acte dans lequel il n'est pas expressément mentionné qu'il a été souscrit au nom ou pour le compte de la société en formation, il appartient au juge d'apprécier souverainement, par un examen de l'ensemble des circonstances, tant intrinsèques à cet acte qu'extrinsèques, si la commune intention des parties n'était pas qu'il soit conclu au nom ou pour le compte de la société. » (Cour de cassation, 29 novembre 2023, arrêts n° 22-12.865, 22-18.295 et 22-21.623). Certains donnent une grande importance à ces arrêts, il n’empêche que pour éviter la recherche aléatoire de la « commune intention des parties » mieux vaut suivre le formalisme rappelé ci-dessus ce qui mettra un terme à toute discussion.

Société par actions (SA, SAS, SCA)

R. 210-6 du code de commerce

Il convient d’établir un état des actes accomplis pour le compte de la société en formation (bien retenir donc les termes “pour le compte de” qui ont leur importance comme indiqué ci-dessus). Cet état indique, pour chacun des actes, l'engagement qui en résulterait pour la société. Il est tenu à la disposition des actionnaires ou associés à l'adresse prévue du siège social, qui peuvent en prendre copie, trois jours au moins avant la date de la signature des statuts (R. 225-14). Il est ensuite annexé aux statuts dont la signature emporte reprise des engagements par la société, lorsque celle-ci a été immatriculée au registre du commerce.

A noter : à la différence avec la société civile ou la société à responsabilité limitée, l’état n’est pas présenté aux associés avant la signature des statuts mais il est tenu à la disposition des associés au futur siège social trois jours au moins avant la date de signature des statuts. Il est donc recommandé de l’indiquer sur l’état pour le faire acter par les signataires.

Les mêmes commentaires que pour la société civile s’appliquent avec la mise à jour importante visée ci-dessus pour les SARL.

APRES LA SIGNATURE DES STATUTS MAIS AVANT L’IMMATRICULATION

Société civile

D. 78-704, art. 6

Les associés peuvent, dans les statuts ou par acte séparé, donner mandat à l'un ou plusieurs d'entre eux, ou au gérant non associé qui a été désigné, de prendre des engagements pour le compte de la société. Sous réserve qu'ils soient déterminés et que les modalités en soient précisées par le mandat, l'immatriculation de la société emportera reprise de ces engagements par ladite société.

A noter : le mandat ne peut être donné qu’à un ou plusieurs associés ou au gérant non associé. Si l’associé est gérant, il vaut mieux indiquer que le mandat est donné à cette personne en qualité d’associé plutôt qu’en qualité de gérant, car seul le gérant non associé peut recevoir mandat.

Commentaires : c’est également durant cette période que l’on retrouve la même erreur. Il est très souvent indiqué que la société est “représentée par son gérant” ou par un ou des associés (sans autre précision), comme elle le serait après son immatriculation. Or, tant que la société n’est pas immatriculée, elle n’a pas la personnalité morale et ne peut être représentée par son futur mandataire social. Elle doit être représentée uniquement par les personnes précitées et “aux termes du mandat donné par les associés” (Voir les arrêts précités de la Cour de cassation des 2 mai 2007, 18 novembre 2020 et 10 février 2021).

Société à responsabilité limitée (SARL)

R. 210-5 du code de commerce

Les associés peuvent, dans les statuts ou par acte séparé, donner mandat à l'un ou plusieurs d'entre eux ou au gérant non associé qui a été désigné, de prendre des engagements pour le compte de la société. Sous réserve qu'ils soient déterminés et que les modalités en soient précisées par le mandat, l'immatriculation de la société au registre du commerce et des sociétés emporte reprise de ces engagements par la société.

A noter : le mandat ne peut être donné qu’à un ou plusieurs associés ou au gérant non associé. Si l’associé est gérant, il vaut mieux indiquer que le mandat est donné à cette personne en qualité d’associé plutôt qu’en qualité de gérant, car seul le gérant non associé peut recevoir mandat.

Les mêmes commentaires que pour la société civile s’appliquent.

Société par actions (SA, SAS, SCA)

R. 210-6 du code de commerce

Les actionnaires ou associés peuvent, dans les statuts, ou par acte séparé, donner mandat à l'un ou plusieurs d'entre eux de prendre des engagements pour le compte de la société. Sous réserve qu'ils soient déterminés et que leurs modalités soient précisées par le mandat, l'immatriculation de la société au registre du commerce et des sociétés emporte reprise de ces engagements par la société.

A noter : le mandat ne peut être donné qu’un ou plusieurs actionnaires ou associés (et non au dirigeant de la société en cours d’immatriculation comme on le voit trop souvent). Si le dirigeant est associé, il vaut mieux indiquer que le mandat est donné à cette personne en qualité d’actionnaire ou d’associé plutôt qu’en qualité de dirigeant (exemple : président pour une SAS).

A noter : le mandat peut être donné qu’à un seul des associés (Cour de cassation, 13 décembre 2005, n° 04-12.528).

Les mêmes commentaires que pour la société civile s’appliquent.

APRES L’IMMATRICULATION

Société civile, société à responsabilité limitée (SARL), société par actions (SA, SAS, SCA)

D. 78-704, art. 6

La reprise des engagements souscrits pour le compte de la société en formation ne peut résulter, après l'immatriculation de la société, que d'une décision prise, sauf clause contraire des statuts, à la majorité des associés.

 Matthieu Vincent

Avocat au barreau de Paris