La garantie d'actif et de passif et le transfert du siège social du garant dans un Etat de l'Union européenne (UE 2019/2121 ; L. 236-50 et s., R. 236-39 et s.)

Nous avons rencontré récemment la problématique suivante. Quelques mois après la signature d’une convention de cession incluant une garantie d’actif et de passif, le garant a transféré son siège social de France en Belgique.

Le transfert du siège social des sociétés dans un Etat de l’Union européenne a été facilité par la directive 2019-2121 qui réglemente notamment la “transformation transfrontalière” des sociétés de capitaux qui ne sont pas en liquidation (article 86 bis et suivants) transposées, en mai-juin 2023, aux articles L. 236-50 et suivants, R. 236-39 et suivants et, par renvoi, la section 1 (fusion) et sous-section 1 (fusion transfrontalière), du code de commerce.

On se retrouve ainsi avec des sociétés venderesses et garantes qui transfèrent, après la cession, leur siège en-dehors de la France. Or, un tel transfert dans un Etat de l’Union européenne n’entraîne plus la création d’une personne morale nouvelle. Il n’y a donc plus dissolution-liquidation de la société mais changement de nationalité et de forme (continuation de la société dans l’Etat de destination).

A noter : en cas de dissolution de la société le liquidateur, s’il ne voulait pas voir sa repsonsabilité engagée, était tenu d’attendre le terme de la garantie d’actif et de passif ou de provisionner le montant maximum éventuellement dû en cas de mise,en jeu après la dissolution, de la garantie d’actif et de passif.

Ces situations peuvent créer des difficultés pour recouvrer les éventuelles sommes en cas de mise en jeu de la garantie d’actif et de passif. Comment se prémunir ou prévenir de telles situations ?

Les mécanismes légaux

Les voies d’exécution européenne

L’exécution des décisions de justice et les titres exécutoires ont été facilités dans l’Union européenne.

S’agissant des décisions de justice par le règlement (UE) n° 1215/2012 et s’agissant du titre exécutoire avec le titre exécutoire européen par le règlement (CE) n° 805/2004 (voir également le guide pratique ici). Notons également l’injonction européenne et la procédure européenne de règlement des petits litiges avec le règlement modifié (CE) n° 861/2007 (voir également les guides pratiques ici , ici et ici).

Mais cela nécessite de prendre à la fois les conseils d’un juriste français et d’un juriste de l’Etat de destination pour notamment identifier la procédure et l’autorité compétente chargée de l’exécution et connaître la nature des mesures d’exécution ou conservatoires pouvant être prises dans l’Etat de destination du garant.

L’opposition

En cas de transfert du siège social dans un autre Etat de l’Union européenne, la directive (Article 86 undecies) et le code de commerce (L. 236-15 , R. 236-34) prévoient en France des mécanismes de protection des créanciers assez classiques avec un droit d’opposition et, si l’opposition est admise, soit le remboursement des créances, soit la constitution de garanties si la société en offre et si elles sont jugées suffisantes. La directive prévoit même la possibilité pour les créanciers d’engager “des poursuites contre la société dans l’État membre de départ dans un délai de deux ans à compter de la date à laquelle la transformation prend effet”, sans préjudice toutefois “d’un accord contractuel” (section 4 de l’article 86 undecies et R. 236-34).

Mais, le plus souvent la garantie d’actif et de passif peut ne pas être exigible au moment du transfert du siège social (voir notre proposition ci-dessous) et l’opposition alors irrecevable (sur la condition d’exigibilités de la créance : Cour de cassation, 15 juillet 1992, 90-16.409). Ces mécanismes peuvent également ne pas être satisfaisants pour le bénéficiaire de la garantie d’actif et de passif, surtout si les comptes bancaires ont également été transférés.

Les mécanismes contractuels

La solidarité

Parmi les mécanismes contractuels, une option consiste à rendre le ou les associés de la société garante solidairement responsables des obligations de la société garante. Mais là-encore, si les associés transfèrent également leur domicile/siège à l’étranger, la situation n’est pas satisfaisante même si la solidarité fait peser un risque important sur la tête des associés et leur patrimoine.

Les sûretés

Les garanties d’actif et de passif prévoient le plus souvent la mise en place d’une garantie de la garantie d’actif et de passif ou “contre-garantie” pour couvrir tout risque d’irrecouvrabilité des indemnités (ou de la restitution du prix). Mais celle-ci est souvent très limitée dans son montant (elle ne couvre pas l’ensemble des indemnités ou de rétrocession du prix théoriques dues) et dans sa durée (avec des mécanismes de réduction de la contre-garantie par périodes).

Une option consiste alors à coupler une obligation d’abstention (non-transfert du siège social et des comptes bancaires de la société garante en-dehors de la France) pendant la durée de la garantie de passif avec des mécanismes de sûreté en cas de violation de cet engagement. Cette option est très efficace lorsqu’un complément de prix est stipulé et dû : en cas de violation de l’engagement, le complément de prix est alors séquestrer entre les mains d’un tiers prédéterminé dans le contrat (ainsi que sa mission) voire est mis en gage (gage-espèces) entre les mains du vendeur ou par entiercement. Il pourrait également être stipulé que tout transfert du siège en-dehors de la France ne pourrait se faire que sous réserve de la remise d’une garantie bancaire (cautionnement ou garantie autonome). Il pourrait également être stipulé, pour rendre le mécanisme d’opposition légale ci-dessus efficient, que tout transfert du siège en violation de l’engagement d’abstention entraîne l’exigibilité immédiate du plafond de la garantie et son gage au profit du vendeur (une telle exigibilité et gage permettant de saisir le juge pour constitution de garantie en cas d’obstruction du garant).

L’assurance

L’assurance de garantie d’actif et de passif est également une solution efficace pour les opérations importantes ou cross-border (voir notre article).

La mise sous surveillance

En tout état de cause, pour être efficace, de telles mesures nécessitent une surveillance de l’entité garante. Il conviendra donc de mettre en place un dispositif de surveillance (gratuit) via le site du Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales pour connaître tout projet de transfert transfrontalier du siège social (R. 236-22).

Matthieu Vincent

Avocat au barreau de Paris