Quelle différence entre un apport en nature et un apport partiel d'actif ? (L. 236-27, CGI, 210 B)

Quelle différence entre l’apport d’un bien et l’apport (partiel) d’actif ?

A noter : Il ne faut pas confondre le mot “bien” avec le mot “meuble”, un bien pouvant inclure des droits comme une créance (529). La réglementation préfère utiliser le terme générique “élément” ou “actif”..

Terminologie

La loi utilise les termes “apport d’actif” et plus récemment ceux d’“apport partiel d’actifs”. Pourtant, l’apport d’actif est depuis très longtemps dénommé apport partiel d’actif. Cette terminologie trouve son origine dans les débats parlementaires qui ont précédé l’introduction du régime en droit français (voir ci-dessous) qui eux-mêmes reprennent une terminologie d’après-(seconde) guerre (mondiale) qui eux-même trouvent leur origine dans la législation fiscale française (article 718).

On rencontre aussi souvent les termes “apport d’une branche d’activité” pour viser l’apport partiel d’actif. Cette confusion vient du régime des fusions et scissions et du régime fiscal. En effet, lorsque l’apport partiel d’actif est soumis au régime des scissions c’est principalement pour bénéficier du régime de faveur des fusions. Or, en matière fiscale, il est question de l’apport d’une branche complète et autonome (210 B, BOI-IS-FUS-20-20, §. 10).

A noter : cette notion de branche a été reprise par le droit européen (voir ci-dessous).

A noter : il existe de nombreuses autres définitions. En droit social on vise une “entité économique autonome” (Cour de cassation., 16 mars 1990, n° 89-45.730) ou, en droit social européen, un “ensemble organisé de moyens en vue de la poursuite d’une activité économique, […] essentielle ou accessoire” (Article 1er, § 1, b de la directive n° 2001/23/CE du Conseil du 12 mars 2001). En droit des procédures collectives, est visée la “branche complète et autonome” (L. 642-1).

Mais alors, comment distinguer l’apport d’un bien de l’apport “partiel d’actif” ? Un “actif” est-il différent d’un bien ?

Origine

Le régime de l’apport partiel d’actif (termes utilisés lors des débats et la première version mais non utilisés in fine) est issu de la loi de 1966 sur les sociétés commerciales (article 387). Il trouve son origine dans un amendement (nouvel article 324-14 bis) adopté à l’Assemblée nationale (Journal officiel, séance du 10 juin 1966, p. 1969) qui sera réécrit par un amendement du Gouvernement adopté au Sénat (Journal officiel, 22 juin 1966, p. 942). L’article sera codifié à l’article L. 236-22 du code de commerce, puis déplacé à l’article L. 236-27 avec la création d’une nouvelle section “De l'apport partiel d'actifs”. On remarquera le glissement sémantique d’“actif” à “actifs” dans le titre alors que le texte lui n’a pas été modifié. En revanche l’apport partiel d’actifs transfrontalier est bien au pluriel dans le titre et dans le texte (L. 236-48).

Définition

Il n’existe pas de définition juridique à proprement parlé de l’apport partiel d’actif en droit français.

Celle-ci a été définie par un parlementaire comme l’opération par laquelle une société apporte une partie de son actif à une autre tout en conservant le reste de son patrimoine et son existence juridique (Sénat, Rapport, 4 novembre 1987, n° 82, p. 76). En 2023, on y ajouter que cet apport ne comprend pas nécessairement d'élément de passif (Rapport au Président de la République relatif à l'ordonnance n° 2023-393).

A noter : le droit européen propose des définitions. Il distinguait ainsi la scission partielle de l’apport d’actif (Directive 90/434/CEE du 23 juillet 1993 et directive 2009/133/CE du Conseil du 19 octobre 2009).

La scission partielle est “l’opération par laquelle une société transfère, sans être dissoute, une ou plusieurs branches d’activité à une ou plusieurs sociétés préexistantes ou nouvelles, en laissant au moins une branche d’activité dans la société apporteuse, en échange de l’attribution à ses associés, au prorata, de titres représentatifs du capital social des sociétés qui bénéficient des éléments d’actif et de passif et, éventuellement, d’une soulte en espèces ne dépassant pas 10 % de la valeur nominale ou, à défaut de valeur nominale, du pair comptable de ces titres” (définition résultant de directive 2005/19/CE du Conseil du 17 février 2005) .

L’apport d’actif est “l'opération par laquelle une société apporte, sans être dissoute, l'ensemble ou une ou plusieurs branches de son activité à une autre société, moyennant la remise de titres représentatifs du capital social de la société bénéficiaire de l'apport”. Voir également en matière d’opération transfrontalière, la “scission partielle” ou la “scission par séparation” (article 160 ter, directive (UE) 2019/2121).

On remarquera dans ces deux définitions la différence entre la branche d’activité (qui inclut le passif) et la branche de son activité (qui n’inclut pas le passif).

La branche d’activité est en effet défini comme “l'ensemble des éléments d'actif et de passif d'une division d'une société qui constituent, du point de vue de l'organisation, une exploitation autonome, c'est-à-dire un ensemble capable de fonctionner par ses propres moyens” (Directive 90/434/CEE du 23 juillet 1993 et directive 2009/133/CE du Conseil du 19 octobre 2009). En revanche, aucune définition de branche n’est apportée.

Distinction

En s’inspirant des opérations de fusions ou de scissions, on peut comprendre que l’apport d’un bien correspond à l’apport d’un ou plusieurs actifs isolés, alors que l’apport partiel d’actif correspond à l’apport de biens se rattachant à un ensemble (une universalité de fait) englobant même les biens qui ne seraient pas expressément mentionnés dans le traité d’apport (ou alors, au contraire, qui y seraient expressément exclus).

A noter : une universalité de fait est un ensemble (agrégat) distinct de ses composants, sans passif (E. Meiller, L’universalité de fait, Revue trimestrielle de droit civil, 2012, p. 651).

En d’autres termes, dans le premier cas (apport d’un bien), tout ce qui n’est pas mentionné n’est pas compris dans l’apport, alors que dans le second cas (apport partiel d’actif), tout ce qui n’est pas expressément exclu est compris dans l’apport.

L’apport d’un bien (apport en nature pur et simple) serait donc un apport d’actif particulier alors que l’apport partiel d’actif serait un apport d’actif universel (une universalité de fait, un agrégat par opposition à une chose seule).

A noter : l’apport partiel d’actif “universel” n’est pas une “transmission universelle” au sens des fusions ou scissions (transmission de l’ensemble de l’actif et du passif). Ainsi, en matière d’apport partiel d’actif comprenant un fonds de commerce, les formalités prévues pour l’apport des fonds doivent être respectées contrairement aux opérations de fusion ou de scission (L. 141-21). De même, une demande en annulation de l’apport peut être demandée ou la société bénéficiaire de l’apport est tenue solidairement avec le débiteur principal, au paiement du passif déclaré (L. 141-22).

En revanche le caractère “autonome” de la branche semble une notion non pas juridique mais uniquement fiscale (voir également en matière de droit social et de procédures collectives). Cette autonomie est donc nécessaire pour bénéficier du régime fiscal de faveur et, éventuellement, du transfert des contrats de travail (mais cela ne semble pas être une condition essentielle), mais non pour qualifier l’opération en matière juridique.

Matthieu Vincent

Avocat au barreau de Paris

Matthieu Vincent