Société civile (SCI, Groupement forestier et autres) : quel est le statut juridique des héritiers et légataires non encore agréés ?

Question : quel est le statut juridique des héritiers ou légataires non encore agréés d’un associé d’une société civile ?

Réponse : lorsque les statuts de la société stipulent un agrément des héritiers et/ou légataires d’un associé décédé, les héritiers et légataires non agréés n’ont ni la qualité d’associé ni de droit sur les parts sociales ou actifs de la société. Ils n’ont qu’un droit de créance sur la valeur des parts sociales.

Explication : on sait que les statuts d’une société civile peuvent stipuler une clause d’agrément des héritiers ou légataires d’un associé décédé (voir notre article spécifique sur ce sujet). Quel est le statut de ces héritiers ou légataires tant que les associés survivants ne se sont pas prononcés sur l’agrément ? Sont-ils détenteurs en indivision des parts de la société ? Doivent-ils être convoqués aux assemblées ou participent-ils aux décisions collectives des associés ? Peuvent-ils participer aux débats et votes de l’assemblée ? Ont-ils des droits sur les actifs de la société ?

Le statut juridique des héritiers et légataires non encore agréés résulte d’une combinaison d’arrêts ou décisions de juridictions.

Tout d’abord, l’indivision successorale n’est pas associée elle-même de la société (Cour de cassation, 6 février 1980, n° 78-12513). Les héritiers ou légataires, composant cette indivision, ne le sont pas plus sauf si bien entendu ils étaient déjà associés de la société (cour d’appel de Paris, 13 mars 2013, n° 12/06788 : “Considérant que les appelants soutiennent exactement que l'héritier devenu propriétaire des parts sociales de la SCI de l'associé décédé, n'en devient pas pour autant de plein droit associé ; que pour acquérir cette qualité d'associé, il doit présenter une demande en vue d'obtenir l'agrément “).

Les héritiers ou légataires n’ont donc pas à être convoqués aux assemblées ni ne peuvent participer au vote (A propos d’associés de SARL mais transposable aux associés de société civile, Cour de cassation, 27 mars 2019, n° 17-23.886  : “Mais attendu, en premier lieu, que selon l'article L. 223-13, alinéa 2, du code de commerce, les statuts d'une société à responsabilité limitée peuvent stipuler que le conjoint, un héritier, un ascendant ou un descendant ne peut devenir associé qu'après avoir été agréé ; qu'il résulte de ces dispositions que les héritiers non agréés n'ont pas à être convoqués aux assemblées et ne peuvent participer au vote ; qu'ayant constaté que Mme B n'avait pas sollicité l'agrément prévu par les statuts de la Selarl en cas de transmission de parts sociales à un conjoint dans le cadre de la liquidation de la communauté ayant existé entre les époux, la cour d'appel en a exactement déduit qu'elle n'avait pas et n'avait jamais eu la qualité d'associé “).

A noter : les droits attachés aux parts sociales du de cujus (défunt) dans l’attente de la décision d’agrément, notamment les droits de vote, sont suspendus (voir notamment Mestre, Velardocchio, Lamy sociétés commerciales). Seule la “finance” (par opposition au “titre”) reste dans le patrimoine successoral (voir N. Levillain, AJ Famille 2020 p.606).

Les héritiers et légataires ne perçoivent pas plus les bénéfices réalisés postérieurement au décès (A propos d’un groupement agricoles d’exploitation en commun mais transposable aux groupements ayant la forme d’une société civile, Cour de cassation, 14 décembre 2004, n° 01-10.893 : “Attendu qu'en statuant ainsi, alors que l'article R. 323-41 du Code rural, qui permet seulement aux héritiers non encore agréés de participer aux délibérations de l'assemblée générale du groupement et ne déroge pas, en ce qui concerne le droit sur les bénéfices, aux dispositions de droit commun de l'article 1870-1 du Code civil, ne confère aux héritiers non agréés aucun droit sur les bénéfices réalisés par le groupement postérieurement au décès de leur auteur, la cour d'appel a violé le premier de ces textes par fausse application et le second par refus d'application”; à propos d’un légataire de parts d”une société civile, Cour de cassation, 2 septembre 2020, n° 19-14.604 : “ Il en résulte que, s’il n’est associé, l’héritier n’a pas qualité pour percevoir les dividendes, fût-ce avant la délivrance du legs de ces parts à un légataire”).

Les héritiers ne peuvent pas non plus agir en nullité d’une délibération de la société puisqu’ils ne sont pas associés (A propos d’une SARL mais transposable aux sociétés civiles, Cour de cassation, 27 mars 2019, n° 17-23.886 : “la nullité est absolue lorsque la règle violée a pour objet la sauvegarde de l'intérêt général, tandis que la nullité est relative lorsque la règle violée a pour objet la sauvegarde d'un intérêt privé ; qu'ayant exactement énoncé que les nullités ayant pour objet la protection d'intérêts particuliers ne peuvent être invoquées que par la personne ou le groupe de personnes dont la loi assure la protection, et que dès lors, seuls les associés sont recevables à contester la régularité d'une assemblée générale, la cour d'appel en a déduit à bon droit que Mme B., qui ne contestait pas dans ses dernières écritures que tous les associés avaient signé le procès-verbal de l'assemblée litigieuse, et qui n'était pas associée, n'avait pas qualité pour agir en nullité des délibérations adoptées par l'assemblée générale du 24 février 2003 ; qu'en cet état, la cour d'appel, qui a retenu que la nullité invoquée était une nullité relative, a légalement justifié sa décision ”; récemment à propos d’une société civile d’exploitation agricole et d’une société civile, cour d’appel d’Agen, 5 février 2000, 16-00230 : “Sophie P. [héritiére du de cujus, associé] n’ayant pas la qualité d’associée, elle est sans qualité pour agir en nullité d’une assemblée générale à laquelle elle n’avait pas à être convoquée”).

On aura donc compris que ni l’indivision, ni les héritiers ou légataires de cette indivision n’ont donc la qualité d’associé de la société en l’absence d’agrément des associés survivants.

Comme le rappelle finalement l’article 1870-1 du code civil : “Les héritiers ou légataires qui ne deviennent pas associés n'ont droit qu'à la valeur des parts sociales de leur auteur. ».

A noter : cette valeur s’apprécie à la date du décès (art. 1870-1, al. 2), soit amiablement, soit par un expert judiciaire (1843-4).

Par conséquent, les parts sociales ne sont donc pas un bien de l’indivision (Cour de cassation, 9 juillet 1991, n° 90-12.503 : “Mais attendu que l'indivision successorale ne portait pas sur les parts sociales de Joseph X mais, comme l'ont exactement décidé les premiers juges, uniquement sur la valeur de celles-ci, seule la finance des parts étant entrée en communauté ; qu'en conséquence, la cession intervenue ne portait pas sur un bien de cette indivision, de sorte que les griefs du moyen sont inopérants ; que celui-ci ne peut être accueilli”).

Si les héritiers et légataires non agrées n’ont donc qu’un droit de créance quant à la valeur des parts sociales, ils ont encore moins de droit sur la société ou ses actifs qui a sa personnalité juridique propre et qui est donc étrangère à l’indivision (cour d’appel de Rennes, 12 décembre 2014, n° 13/08903 : “Par ailleurs, l'intimée [SCI] oppose valablement que cette créance lui reste étrangère, en tant que personne morale distincte de l'indivision successorale”.

Matthieu Vincent

Avocat au barreau de Paris