La nomenclature des droits sociaux en droit français : valeurs mobilières, instruments financiers, titres financiers, etc.

Question : on utilise indifféremment dans la pratique les termes de droits sociaux, de valeurs mobilières, d’instruments financiers, de titres financiers. Mais que recouvrent vraiment en droit français ces notions ?

Réponses : les termes droits sociaux sont les termes génériques (voir article 1843-4 du code civil par exemple) pour désigner l’ensemble des droits émis par une société en représentation de son capital ou de ses droits de vote (parts sociales, actions, etc.) quelle que soit sa forme juridique (société civile, société à responsabilité limitée, société anonyme, société par actions simplifiée, etc.). Ils sont toutefois utilisés par préférence pour les sociétés de personnes (société civile, société en nom collectif).

Les notions de valeurs mobilières, d’instruments financiers et de titres financiers sont des notions juridiques qui ont été introduites au fur et à mesure dans le système législatif français. La notion de “valeur mobilière” est apparue en premier, suivie d’“instrument financier”, puis enfin de “titre financier”. Ces notions se sont recoupées à tel point qu’elles ont créé certaines ambiguïtés. En synthèse les valeurs mobilières font partie des titres financiers qui font partie des instruments financiers. Si une valeur mobilière est nécessairement un titre financier, un titre financier n’est pas nécessairement une valeur mobilière. Les valeurs mobilières sont exclusivement émises par les sociétés par actions alors que les titres financiers peuvent être également émis par l'Etat, une personne morale, un fonds commun de placement, un fonds de placement immobilier, un fonds professionnel de placement immobilier, un fonds de financement spécialisé, ou un fonds commun de titrisation. A titre d’exemple, une obligation (titre financier) peut être une valeur mobilière (si elle est émise par une société par actions) ou non (si elle est émise par une société à responsabilité limitée).

Explications :

Valeurs mobilières (1966)

La notion de valeur mobilière était utilisée dans la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 (art. 263) puis par les textes européens (directives 79/279/CEE et 80/390/CEE), le terme anglais étant “transferable securities”.

A noter : le terme valeurs mobilières est connu depuis le 19eme siècle (pour son origine voir Traité théorique et pratique des valeurs mobilières et effets publics, 1869)

A notre époque moderne. elle sera définie (mais uniquement pour l’application de cette loi) en terme générique par l’article 1er de la loi n° 88-1201 du 23 décembre 1988 relative aux organismes de placement collectif en valeurs mobilières et portant création des fonds communs de créances. La directive 93/22/CEE du Conseil, du 10 mai 1993, concernant les services d'investissement dans le domaine des valeurs mobilières utilisait encore la notion de “valeurs mobilières” ou “transferable securities” en anglais tout en créant une annexe B listant les “instruments” (pas encore qualifiés dans l’annexe de “financiers” bien que les termes soient utiliés dans la directive mais que l’on connaissait déjà, voir par exemple la deuxième directive 89/646/CEE du Conseil du 15 décembre 1989).

Les valeurs mobilières étaient définies par la directive 93/22/CEE précitée comme “les actions et autres valeurs assimilables à des actions, les obligations et autres titres de créance, négociables sur le marché des capitaux, et toutes autres valeurs habituellement négociées permettant d'acquérir de telles valeurs mobilières par voie de souscription ou d'échange ou donnant lieu à un règlement en espèces, à l'exclusion des moyens de paiement”. La directive de 2004 (ci-dessous), les définira comme “les catégories de titres négociables sur le marché des capitaux (à l'exception des instruments de paiement), telles que les actions de sociétés et autres titres équivalents à des actions de sociétés, de sociétés de type partnership ou d'autres entités ainsi que les certificats représentatifs d'actions, les obligations et les autres titres de créance, y compris les certificats d'actions concernant de tels titres, toute autre valeur donnant le droit d'acquérir ou de vendre de telles valeurs ou donnant lieu à un règlement en espèces, fixé par référence à des valeurs mobilières, à une monnaie, à un taux d'intérêt ou rendement, aux matières premières ou à d'autres indices ou mesures”. Cette définition sera reprise par la directive de 2014 (voir ci-dessous).

Genèse de la notion d’”instruments financiers” (1996)

Transposant la directive 93/22/CEE précitée, le législateur français va alors utiliser pou la première fois la notion d’”instruments financiers” (voir projet de loi n° 157 qui deviendra la loi n° 96-597 du 2 juillet 1996 de modernisation des activités financières). Les parlementaires se sont d’ailleurs intéressés à définir avec précision cette notion (voir rapport, page 21). La notion de “titres financiers” n’apparaît pas encore (même si la loi précitée de 1988 avait utilisé le terme “titre” pour définir les valeurs mobilières). Il faudra attendre la directive abrogée 2004/39/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 pour voir utiliser la définition d’“instruments financiers” (renvoyant à l’annexe de la directive 99/22/CEE précitée) laquelle sera reprise par la directive 2014/65/UE du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014 (annexe I, section C).

Les instruments financiers sont alors composés notamment des valeurs mobilières, des instruments du marché monétaire, des parts d’organismes de placement collectif et de différents contrats d’option, contrats à terme, contrats d’échange, accords de taux futurs et tous autres contrats dérivés.

Genèse de la notion de “titres financiers” (2009)

Ce sera l’ordonnance n° 2009-15 du 8 janvier 2009 relative aux instruments financiers (prise sur habilitation de l’article 152 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 et ratifiée par l'article 138 I de la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009) qui introduira (art. 1er) la notion de “titres financiers” (voir le rapport au Président de la République).

Le droit actuel français

Il n’existe pas de définition juridique de la notion de “droits sociaux” qui est toutefois utilisée par certains textes (articles 1843-4, 1866, du code civil, L. 221-12, L. 221-16 du code de commerce).

La notion d’“instruments financiers” est définie par l’article L. 211-1 du code monétaire et financier comme étant les “titres financiers” et les “contrats financiers”.

La notion de “titres financiers” est définie de manière précise par le même article L. 211-1 du code monétaire et financier comme étant les “titres de capital”, les “titres de créance” et les “parts ou actions d’organismes de placement collectif”.

Les “titres de capital” émis par les sociétés par actions sont les “actions” et “les autres titres donnant ou pouvant donner accès au capital ou aux droits de vote” (L. 212-1-A du code monétaire et financier).

Les “actions” sont celles définies par l’article L. 228-7 du code de commerce (L. 212-1 du code monétaire et financier) qui elles-mêmes comprennent les “actions de numéraire” et les “actions d’apport” (L. 212-1) parmi lesquelles les “actions de préférence” (L. 212-5).

Les “autres titres pouvant donner accès au capital” sont définis par l’article L. 212-7 du code monétaire et financier par renvoi aux articles L. 228-91 et suivants du code de commerce.

A noter : un auteur estime que l’ordonnance précitée du 8 janvier 2009 a “inutilement compliqué les choses en mélangeant notamment les concepts de titres de capital et de titres donnant accès au capital” (R. Foy, Bon de souscription d’action, Répertoire des sociétés, Dalloz). En incluant les titres pouvant donner accès au capital dans les titres de capital, cela créé une ambiguïté car une valeur mobilière donnant accès au capital , comme un bon de souscription d’action ou une obligation convertible en action par exemple, peut ne jamais être exerçée et le titre primaire (le bon ou l’obligation) n’est pas à proprement parler un titre de capital. L’auteur indique ainsi que le code de commerce “reste plus cohérent en distinguant les titres de capital et les valeurs mobilières donnant accès au capital”.

Les “titres de créance” sont définis à l’article L. 213-0-1 du code monétaire et financier. Ils regroupent les “titres négociables” (L. 213-1), les “obligations” (L. 213-5), les “titres émis par l’Etat” (L. 213-21-1), les “titres participatifs” (L. 213-32).

La notion de “valeurs mobilières” est définie par l’article L. 228-1 du code de commerce. Elles se définissent par leur émetteur (société par actions uniquement) et par certaines caractéristiques qui ne sont toutefois pas propres aux valeurs mobilières (par exemple elles confèrent des droits identiques par catégorie comme les obligations dont on verra plus loin qu’elles ne sont pas nécessairement des valeurs mobilières).

A noter : les parts de SCPI ne sont pas des valeurs mobilières (Cour de cassation, 8 décembre 2022, 19-20.143). Dans le cadre de cet arrêt, la Cour de cassation a donné une définition des valeurs mobilières en creux : une valeur mobilière est un droit négociable et dont le transfert de propriété résulte d’une inscription en compte-titres de l’acquéreur.

Les valeurs mobilières font partie, et c’est là que les choses se compliquent, des “titres financiers” (L. 211-2 du code monétaire et financier et L. 228-1 du code de commerce). Si les valeurs mobilières sont des titres financiers, les titres financiers ne sont donc pas tous des valeurs mobilières. Ainsi, les obligations sont des titres financiers mais peuvent ne pas être des valeurs mobilières car émises par des sociétés qui ne sont pas des sociétés par actions (exemple les société à responsabilité limitée : article L. 223-11 du code de commerce).

Matthieu Vincent

Avocat au barreau de Paris