Le pacte d'associés et l'expert de l'article 1843-4 du code civil : attention à la formule de détermination du prix.

Question : est-il possible dans un pacte d’associés, lorsque les parties doivent déterminer la valeur des droits sociaux (parts sociales, actions, titres) et qu’elles souhaitent appliquer une formule prédéterminée entre elles (exemple : multiple de seuils intermédiaires de gestion tel l’EBE ou de seuils financiers tel l’EBITDA) de renvoyer à la procédure légale de l’article 1843-4 du code civil ?

Réponse : oui mais il convient de faire très attention. Pour rendre opposable la formule convenue entre les parties dans un pacte d’associés, il faudrait que les cas prévus pour son utilisation dans le pacte soient retranscrits dans les statuts de la société.

Explication : on sait qu’en matière de détermination contractuelle du prix de droits sociaux (lorsqu’il n’est pas possible de le déterminer à l’avance) il y a deux possibilités. Soit l’article 1592 du code civil (détermination par un tiers), soit l’article 1843-4 du code civil (détermination par un expert désigné par voie de justice).

A noter : une jurisprudence admet que le prix puisse être déterminé par une expertise in futurum (article 145 du code de procédure civile) dès lors que la cession n’est pas prévue par la loi ou les statuts (écartant ainsi l’article 1843-4 du code civil) et qu’il existe un motif légitime c’est-à-dire si la mesure est utile et pertinente et permettra de recueillir les éléments de preuve (Cour de cassation, chambre commerciale, 15 novembre 2011, n° 10-28.036 ; cour d’appel d’Aix-en-Provence, 16 septembre 2021, n° 21/01433).

L’article 1592 est à manier avec précaution car toute la procédure est contractuelle. Un grain de sable dans la clause et le prix est indéterminable et donc la clause (s’il s’agit d’une promesse ou d’une obligation de cession ou d’acquisition) devient nulle. Il est donc plus prudent de se référer à l’article 1843-4 du code civil dont l’issue est certaine puisque l’expert doit déterminer le prix.

A noter : il est fait souvent référence dans les formules de calcul du prix à la notion d’EBITDA. Attention, cette notion n’est pas une notion comptable (même si elle est proche de l’EBE) mais une notion financière qui n’a pas de définition légale ou réglementaire comme l’ont les seuils intermédiaires de gestion du plan comptable général en France (Voir recommandation n° 2004-R.02 du 27 octobre 2004 relative au format du compte de résultat, tableau des flux de trésorerie et tableau de variation des capitaux propres, des entreprises sous référentiel comptable international (hors entreprises de banque et d’assurance), Bulletin officiel du Conseil national de la comptabilité, n° 141 du 4ème trimestre 2004 : « La présentation d’autres soldes intermédiaires utilisés par les entreprises dans leur communication (Ebita, Ebitda, Free cash-flow,…) n’est pas apparue souhaitable en l’absence de définition comptable normée, mais le tableau des flux doit comporter les éléments nécessaires au calcul de ces indicateurs en complétant le modèle présenté le cas échéant. ». Voir également X. Paper, Les indicateurs clés de la communication comptable et financière, Option finance, n° 780, 13 avril 2004 : « l’Ebitda […] indicateur très prisé des analystes mais non défini par la réglementation comptable […]. Il se transforme parfois en « auberge espagnole » auquel on ajoute ou dont on retranche certains éléments en fonction du « sens » que l’on veut donner aux performances d’un exercice ! ». Voir également sur ce point Lamy, Droit du financement, Indicateurs de performance, § 179 : « Cet indicateur n’est pas défini par la doctrine anglo-saxonne : les normes US GAAP ne reconnaissent pas l’EBITDA comme étant un solde intermédiaire de gestion et il n’en existe, par conséquent, aucune définition normative. Ce concept n’est par ailleurs encadré ni par le règlement CRC n° 99-02 du 29 avril 1999, ni par les normes IFRS »). Se référer, sans le définir de manière précise, à l’EBITDA, peut donc entraîner une inapplication (ou contestation) de la formule et donc sa nullité pour indétermination du prix.

Il existe donc une tentation de viser l’article 1843-4 tout en essayant de “dicter” à l’expert la formule de calcul du prix. On sait qu’avant la réforme de l’ordonnance du 31 juillet 2014 (article 37), cela n’était pas possible. En effet, la Cour de cassation estimait qu’il fallait appliquer son régime (d’ordre public) dans son ensemble (Cour de cassation, 19 avril 2005, n° 03-11.790 : “les experts ont toute latitude pour déterminer la valeur des actions selon les critères qu'ils jugent opportuns” et Cour de cassation, 5 mai 2009, n° 08-17.465 : “ l'expert devait procéder en toute liberté et écarter l'application de la méthode de calcul prévue par les statuts”). La principale conséquence était que l’expert était libre de déterminer le prix selon ses méthodes et son expertise, quand bien même les parties avaient stipulé une clause particulière de calcul de la valeur de la société ou des droits sociaux.

Pour faire échec à cette jurisprudence, on sait que l’ordonnance du 31 juillet 2014 a imposé à l’expert “d'appliquer, lorsqu'elles existent, les règles et modalités de détermination de la valeur prévues par les statuts de la société ou par toute convention liant les parties”.

On pourrait penser que la discussion est close. Mais à y regarder de plus près, cela n’est pas aussi simple.

En effet, comme auparavant, l’article 1843-4, § I commence par ces termes “Dans les cas où la loi renvoie au présent article pour fixer les conditions de prix d'une cession des droits sociaux d'un associé, ou le rachat de ceux-ci par la société”. Ce cas de figure ne correspond pas à une clause d’un pacte d’associés qui prévoit le transfert de droits sociaux si ce transfert n’est pas un transfert prévu par la loi qui renverrait en cas de contestation à l’article 1843-4 du code civil.

Le § II de l’article 1843-4 du code civil prévoit un second cas, celui où “les statuts prévoient la cession des droits sociaux d'un associé ou le rachat de ces droits par la société sans que leur valeur soit ni déterminée ni déterminable”. Là encore, ce cas de figure ne correspond pas à une clause d’un pacte d’associés qui prévoit le transfert de droits sociaux.

A noter : le rapport au Président de la République relatif à l'ordonnance n° 2014-863 du 31 juillet 2014 relative au droit des sociétés précise clairement que l’article 1843-4 vise deux cas : les cas légaux (§ I) et les cas statutaires non légaux en cas d'inexistence de clause de prix ou en présence d'une clause invalide (§ II). Le rapport a toutefois semé la confusion. Il indique en effet que “Ainsi, dans le premier cas, s'il existe des modalités de valorisation statutaires ou extrastatutaires, selon le cas, l'expert désigné est tenu d'appliquer les modalités de détermination du prix prévues par les parties, aussi bien dans les statuts que dans des pactes d'associés. Dans le second cas, il est prévu de faire application, lorsqu'elles existent, des règles de valorisation figurant dans des conventions extrastatutaires, comme c'est déjà le cas depuis un arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 11 mars 2014, lorsque les règles de valorisation figurent dans un pacte d'associés”. A la lecture du rapport, on pourrait donc penser que dès lors que l’article 1843-4 est visé dans un pacte, l’expert serait tenu d’appliquer la formule de prix ou de valorisation convenue entre les parties dans ce pacte. Mais c’est oublié que cette faculté n’est prévue que pour deux hypothèses bien précises comme nous venons de le rappeler : il faut que la cession soit une cession prévue par la loi ou par les statuts. Cela n’inclut donc pas les cessions uniquement prévues dans un pacte, les cessions purement “contractuelles” (ni légales, ni statutaires). D’autant plus qu’il n’est pas certain que les parties puissent appliquer “conventionnellement” l’article 1843-4 en-dehors de ces cas légaux (ainsi que vaut une stipulation d’un pacte qui renvoie à l’expertise de l’article 1843-4 en stipulant une formule de prix : on n’est ni dans un cas prévu par la loi (§ I) ni dans une situation où le prix est indéterminé ou indéterminable (§ II) bien au contraire puisque le pacte stipule une formule de prix, le prix étant donc déterminé ou déterminable). De nombreux auteurs se sont posés également cette question (B. Dondero, JCP E., 2014, 1531, spéc. §. 25 et s. ; R. Mortier, Droit des sociétés, 2014, spéc. §. 14).

Néanmoins, la Cour de cassation ayant déjà accepté la possibilité pour des parties d’opter pour un régime d’ordre public dont les conditions n’étaient pas remplies (voir l’option par les parties pour le statut des baux commerciaux, par exemple Cour de cassation, 28 mai 2020, n° 19-15.001), on se demande ce qui pourrait empêcher les parties d’opter pour la procédure de l’article 1843-4 alors même que les conditions légales ne seraient pas remplies (dans ce cas, la clause devrait par exemple stipuler “et ce même si toutes les conditions d'application ne sont pas remplies ou ne le sont que pour partie”, la Cour de cassation censurant les juges pour dénaturation d’une clause ou convention claire et précise). La Cour de cassation (à tout le moins la chambre commerciale) semble se diriger vers cette hypothèse (voir l’arrêt ci-dessous in fine de 2024).

Mais on avouera que la situation est ubuesque. Ainsi, les stipulations d’un pacte ne s’appliqueraient pas si la cession est purement conventionnelle mais s’appliqueraient si la cession conventionnelle est une cession également prévue par la loi renvoyant à l’article 1843-4 en cas de contestation ou une cession statutaire dont le prix est indéterminé ou indéterminable. Pourquoi une telle différence (à cause de l’existence de l’article 1592 du code civil dont on sait que sa pratique est risquée et peut justement amener à une indétermination du prix et donc à la nullité de la vente le tiers-estimateur n’ayant pas “tout pouvoir” pour déterminer le prix, celui-ci devant appliquer la formule conventionnelle, alors qu’elle serait viciée comme une référence à l’Ebitda sans autre précision, ou ce tiers pouvant renoncer à exécuter sa mission ?) ?

Pour rendre donc opposable la formule convenue entre les parties dans un pacte d’associés, il faudrait que les cas prévus pour son utilisation dans le pacte (par exemple transfert en cas de faute du cocontractant, en cas de changement de contrôle d’une partie personne morale, promesse de vente des fondateurs personnes physiques, promesse de vente des salariés détenteurs de stock-options, d’actions gratuites ou d’actions résultant de l’exercice de BSA ou BSCPE par exemple) soient retranscrits dans les statuts de la société.

A noter : pour sécuriser encore plus la clause, il conviendrait de prévoir qu’à défaut pour l’expert de pouvoir déterminer le prix en application de la formule (il se peut que la formule soit erronée), alors il retrouverait sa pleine liberté.

Nous proposons l’exemple de clause statutaire suivant : « Dans les cas où les associés ont prévu, soit dans les statuts, soit par un acte extrastatutaire, la cession des droits sociaux d'un associé ou le rachat de ces droits par la société, sans que leur valeur soit ni déterminée ni déterminable, celle-ci est déterminée, en cas de contestation (éventuellement: pour tout acte extrastatutaire, lorsque cet acte l’autorise ou le prévoie expressément), par un expert désigné dans les conditions du premier alinéa de l’article 1843-4 du code civil ».

On notera que la chambre commerciale de la Cour de cassation ne se pose pas autant de questions puisqu’elle admet, dés lors que les parties contractantes ont renvoyé conventionnellement à l’expert de l’article 1843-4 du code civil et ont prévu une formule, que cet expert applique cette formule qui en l’espèce pouvait s’interpréter de deux manières et a donc donné lieu à un rapport de l’expert avec deux prix à charge pour la juridiction d’interpréter souverainement la commune intention des parties (Cour de cassation, 17 janvier 2024, n° 22-15.897 : selon les faits de l’arrêt, “L’acte de cession comportait un prix de base et un ajustement de prix calculé après l'arrêté des comptes au 30 avril 2016, égal au montant de la variation des capitaux propres de chacune des sociétés cédées. Cet acte prévoyait également qu'en cas de désaccord sur le prix, un expert serait désigné, à défaut d'accord, par le président du tribunal de commerce, conformément à l'article 1843-4 du code civil”).

Matthieu Vincent

Avocat au barreau de Paris