La reconstitution des capitaux propres et la responsabilité des dirigeants (L. 223-42, L. 225-248)

Question : les dirigeants engagent-ils leur responsabilité si les associés ne reconstituent pas les capitaux propres lorsque ceux-ci sont inférieurs à la moitié du capital social ?

Réponse : leur responsabilité peut être engagée dans certains cas notamment en cas de procédure collective (redressement ou liquidation judiciaire) pour faute de gestion entraînant une obligation de combler le passif.

Explication : on sait qu’aux termes des articles L. 223-42 et L. 225-248 du code de commerce si, du fait de pertes constatées dans les documents comptables, les capitaux propres de la société deviennent inférieurs à la moitié du capital social, les associés décident, dans les quatre mois qui suivent l'approbation des comptes ayant fait apparaître cette perte s'il y a lieu à dissolution anticipée de la société. Si la dissolution n'est pas prononcée, la société est tenue, au plus tard à la clôture du deuxième exercice suivant celui au cours duquel la constatation des pertes est intervenue, de réduire son capital d'un montant au moins égal à celui des pertes qui n'ont pu être imputées sur les réserves, si, dans ce délai, les capitaux propres n'ont pas été reconstitués à concurrence d'une valeur au moins égale à la moitié du capital social.

A noter : l’article 14 de la loi n° 2023-171 du 9 mars 2023 portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans les domaines de l'économie, de la santé, du travail, des transports et de l'agriculture est venue apporter une modification au régime de régularisation de la situation (voir notre article).

On comprend donc qu’il est de la responsabilité des associés de reconstituer les capitaux propres. Mais les dirigeants peuvent également prendre une responsabilité, c’est-à-dire commettre une “faute de gestion” qui aurait pour conséquence de les faire condamner à combler le passif de la société si celle-ci venait à être mise, par la suite, en redressement ou en liquidation judiciaire. Quelle serait cette faute de gestion ?

La faute consisterait à ne pas avoir convoqué les associés pour décider de la reconstitution des capitaux propres au cours de ce délai de 2 ans (Cour de cassation, 24 janvier 2018, n° 16-23.649). Cela ne veut pas dire que les dirigeants aient une obligation de résultat que les capitaux propres soient reconstitués, mais ils doivent “provoquer” une décision pour que les associés statuent sur une éventuelle reconstitution. Bien entendu, si le dirigeant n’a pas eu le temps de provoquer cette décision au cours de ce délai parce que la société a été mise en redressement ou liquidation judiciaire entretemps, il ne peut lui être reproché une faute car « les dispositions [de l’article L. 225-248] ne s'appliquaient pas » (Cour de cassation, 8 septembre 2021, n° 19-23.187).

En pratique, il serait donc conseillé aux dirigeants, à chaque fois que les associés sont appelés à statuer sur des décisions, d’y introduire une décision sur la reconstitution des capitaux propres ou de provoquer avant l’expiration du délai de deux ans, une décision des associés.

A noter : le délai de 2 ans ne se calcule pas à partir de l’exercice clos duquel découle la perte (par exemple si la perte découle de l’exercice clos le 31 décembre 2020, le délai n’expire pas le 31 décembre 2022) mais de l’exercice au cours duquel la perte a été constatée (dans notre exemple, si la perte a été constatée au cours d’une décision des associés du 30 juin 2021, le délai expire le 31 décembre 2023).

A noter : le dirigeant pourrait, par exemple, insérer dans le rapport de gestion, s’il est tenu de l’établir, la mention suivante lorsque la situation des capitaux propres est rappelée (dans notre exemple, président d’une SAS) : “Important : Le président invite l’associé unique/la collectivité des associés à prendre les mesures mentionnées à l’article L. 225-248 du code de commerce* pour reconstituer les capitaux propres de la Société à concurrence d’une valeur au moins égale à la moitié du capital social.“. L’avertissement pourrait être encadré pour le faire ressortir. Dans la décision des associés, il pourrait être ajouté la mention suivante : “Il est rappelé que par décision du date, du fait de la constatation d’un niveau de capitaux propres inférieurs à la moitié du capital social, les associés de la Société ont décidé de ne pas dissoudre la Société [éventuellement : après avoir pris connaissance du courrier du commissaire aux comptes du date sur l’absence de régularisation de la situation à la clôture de l’’exercice clos le date] [et qu’] ils ont été invité par le président** à régulariser la situation dans les conditions de l’article L. 225-248 du code de commerce*”. *Texte pour une SARL : L. 223-42 du code de commerce. **Texte pour une SARL : gérant

Néanmoins, en toute hypothèse (que les capitaux propres soient inférieurs ou non à la moitié du capital social), dès lors que la “survie” de la société en dépend, le dirigeant devrait “provoquer” une décision des associés pour décider d’une recapitalisation si elle est nécessaire à cette survie (Cour de cassation, 12 juillet 2016, n° 14-23.310 : « Mais attendu qu'après avoir exactement énoncé que, si les apports de fonds à une société sont le fait des associés et non des dirigeants, qui ne peuvent, dès lors, se voir reprocher l'absence d'augmentation du capital, l'arrêt retient à bon droit que ces dirigeants peuvent cependant commettre une faute de gestion s'ils ne tentent pas d'obtenir une telle augmentation, lorsqu'elle s'avère nécessaire à la survie de la société ; »).

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 Matthieu Vincent

Avocat au barreau de Paris