Les dirigeants, l’objet social et les actes sortant de la gestion courante : que faut-il vérifier (ventes, sûretés, etc.) ?

Question d’un client : quelles sont les limites des pouvoirs des dirigeants, vis-à-vis des tiers, au vu de l’objet social de la société qu’ils représentent notamment pour des actes sortant de la gestion courante tels que la vente d’un bien immobilier ou du fonds de commerce de la société, la constitution de sûretés, etc. ?

Réponse : il existe une distinction classique entre les sociétés de personnes et les sociétés de capitaux. Pour les premières, les actes des dirigeants doivent entrer dans l’objet social et le tiers doit donc vérifier préalablement cet objet pour vérifier que les dirigeants peuvent engager la société. Pour les sociétés de capitaux, la société est engagée même par les actes de ses dirigeants qui ne relèvent pas de l’objet social. Toutefois, si ces actes nécessitent une modification statutaire ou “épuisent” l’objet social, alors, même pour les sociétés de capitaux, les dirigeants ne peuvent engager la société car une telle modification ou un tel épuisement est de la compétence légale des associés ce que ne peuvent ignorer les tiers selon l’adage nul n’est sensé ignorer la loi.

Explications : le système juridique français distingue, en matière de compétence des dirigeants par rapport à l’objet social de la société, les dirigeants des sociétés dites de personnes (sociétés civiles, sociétés en nom collectif, sociétés en commandité simple) et les dirigeants des sociétés dites de capitaux (sociétés à responsabilité limitée, sociétés anonymes, sociétés par actions simplifiées, sociétés en commandite par actions).

Les sociétés de personnes

Pour les sociétés de personnes, les gérants engagent la société pour les actes “entrant dans l’objet social”, les clauses statutaires limitant les pouvoirs des gérants étant inopposables aux tiers (article 1849 du code civil pour les sociétés civiles, articles L. 221-5, pour les sociétés en nom collectif, et L. 222-2, pour les sociétés en commandite simple, du code de commerce).

A noter : il ne faut pas confondre les actes entrant dans l’objet social mais qui dépassent certaines limites imposées au gérant dans les statuts (inopposables aux tiers) et les actes qui dépassent l’objet social et donc, a fortiori, les limites imposées au gérant (opposables aux tiers).

Donc, les actes qui n’entrent pas dans l’objet social de la société n’engagent pas la société. Il appartient alors aux tiers de vérifier préalablement si l’acte du dirigeant est compatible avec l’objet social de la société.

Exemple : l’objet social suivant ne permet pas la vente par le gérant des actifs immobiliers de la société sans autorisation des associés : « l'acquisition, la propriété, l'administration, la mise en location, la gestion et l'exploitation de tous immeubles : locaux commerciaux, fonds de commerce, notamment les biens immobiliers qu'elle se propose d'acquérir ... et généralement toutes opérations quelconques se rattachant directement ou indirectement à cet objet et toutes opérations immobilières quelconques concernant tous autres immeubles pourvu que les opérations ne modifient pas le caractère de la société » (Cour de cassation, 6 septembre 2011, n° 10-21.815). Il en va de même pour l’objet social suivant : « l’acquisition, la propriété, l’administration, l’exploitation de tous biens immobiliers, la prise à bail à construction de tous immeubles en vue de la location ainsi que toutes opérations ju- ridiques, administratives, financières et de gestion à caractère mobilier ou immobilier concourant directement ou indirectement à la réalisation de l’objet » (Cour de cassation, 23 novembre 2023, n° 22-17.475). Certaines décisions admettent que le terme « propriété » inclus la possibilité de vendre les actifs immobiliers de la société (Cour de cassation, 11 mai 2022, n° 21-15.387 visant l’« appréciation souveraine » de la cour et, en matière commerciale, 26 février 2008, n° 06-21.744 mais l’objet visait aussi « toutes opérations mobilières ou immobilières susceptibles d'en favoriser le développement immobilier »).

A noter : la question est fréquemment abordée s’agissant des sûretés consenties par une société civile. Sur cette question, on semble être d’ailleurs passé, par opportunisme, de l’objet social à l’intérêt social, notion plus malléable. La “communauté d’intérêt” entre sociétés peut justifier la conclusion de sûretés (Cour de cassation, 13 décembre 2011, n° 10-26.968).

Les sociétés de capitaux

Pour les sociétés de capitaux, si les dirigeants doivent exercer leurs pouvoirs “dans la limite de l'objet social”, vis-à-vis des tiers, la société reste engagée “même par les actes […] qui ne relèvent pas de l'objet social”, les “dispositions des statuts" limitant les pouvoirs” des dirigeants étant “inopposables aux tiers” de bonne foi (articles L. 223-18, L. 225-56, L. 225-64, L. 225-66, L. 226-7, L. 227-6 du code de commerce). Cette disposition, qui trouve son origine dans la réglementation européenne, permet de sécuriser les actes conclus par les sociétés de capitaux vis-à-vis des tiers de bonne foi qui n’ont pas à vérifier l’étendue des pouvoirs des dirigeants.

Toutefois, il existe une subtilité. En effet, les textes rappellent également que les pouvoirs des dirigeants sont exercés “sous réserve de ceux que la loi attribuent” aux associés.

Par conséquent, dès lors que l’acte relève des pouvoirs des associés (donc excède les pouvoirs légaux des dirigeants), les tiers ne pourraient invoquer les dispositions légales protectrices précitées pour se dispenser de vérifier les pouvoirs des dirigeants. Selon le principe bien connu, Nul n’est sensé ignorer la loi.

A noter : cette interprétation est conforme à l’ancien article 10 de la directive 2009/101/CE du 16 septembre 2009 aux termes duquel “la société est engagée vis-à-vis des tiers par les actes accomplis par ses organes, même si ces actes ne relèvent pas de l'objet social de cette société, à moins que lesdits actes n'excèdent les pouvoirs que la loi attribue ou permet d'attribuer à ces organes”.

Ainsi, si l’acte nécessite une modification des statuts, alors il conviendra de faire intervenir les associés aux conditions de quorum et de majorité prévues pour la modification des statuts (Cour de cassation, 12 janvier 1988, n° 85-12.666 ; Cour de cassation, 18 octobre 1994, n° 92-21.485)

Il en ira a fortiori de même lorsque l’acte “épuise” l’objet social de la société ou le fait “disparaitre” (Cour de cassation, 24 juin 1997, n° 94-21.425), entraînant la dissolution de la société (Cour de cassation, 30 mars 2016, n°14-13.729) qui est une décision de la compétence des associés (article 1844-8 du code civil et L. 227-9 du code de commerce pour les SAS).

A noter : c’est sur la base du même raisonnement que les cautions, avals et garanties qui sont consentis par les dirigeants de sociétés anonymes sans avoir obtenu préalablement l’accord de l’organe concerné sont inopposables à la société et que les tiers, même de bonne foi, doivent donc vérifier l’obtention de cette autorisation, nul n’étant, encore une fois, sensé ignorer la loi (Cour de cassation, 29 janvier 1980, n° 78-12.948 ; Cour de cassation, 11 juillet 1988, n° 87-11.209 ; Cour de cassation, 8 octobre 1991, no 90-10.202 écartant dans cette situation la notion de “tiers de bonne foi”)

A noter : pour les SAS, en l’absence de stipulations particulières dans les statuts, ce sont les règles générales de l’article 1836 du code civil qui s’appliqueront pour la modification des statuts et donc l’unanimité des associés sera requise (articles 1836 et 1834 du code civil), c’est-à-dire la totalité des associés de la société et non pas seulement ceux présents ou représentés (arrêt de la Cour de cassation, 5 janvier 2022, n° 20-17.428).

Matthieu Vincent

Avocat au barreau de Paris