Pacte d’associés conclu par un salarié : vers un régime juridique spécifique (non-concurrence, non-débauchage, compétence juridictionnelle, good, medium, bad leaver, etc.)

On voyait venir le régime particulier du pacte d’associés signé par un salarié avec l’arrêt de la Cour de cassation de 2011. Cet arrêt au début avait été mal compris puisque beaucoup pensait qu’il signifiait que la clause de non-concurrence devait être rémunérée même pour les signataires d’un pacte. Or, cet arrêt considérait des lors que le signataire est salarié au moment de la signature, la clause suivait le régime des clauses de non-concurrence comme en matière de contrat de travail c’est-a-dire que parmi les conditions de validité de la clause, il fallait une rémunération (Cour de cassation, 15 mars 2011, n° 10-13.824 ; 4 octobre 2016, n° 15-15.996).

A noter : rappelons que, en matière de contrat de travail, la contrepartie financière ne doit pas être dérisoire (Cour de cassation, 15 novembre 2016, n° 04-46.721 : en l’espèce 10è du salaire brut).

A noter : la clause stipulée dans un pacte doit aussi, conformément au droit commun des clauses de non-concurrence, être limitée dans le temps et dans sa durée (Cour de cassation, 30 mars 2022, n° 19-25.794).

La raison était simple. Cela permettait d’éviter des fraudes : faire signer par les salariés des clauses de non-concurrence du droit commun (dont la rémunération n’est pas un critère obligatoire) dans un acte autre que le contrat de travail.

La Cour de cassation vient ajouter une pierre à l’édifice. Des lors que l’objet du litige présente un lien avec l'exécution du contrat de travail, le conseil des prud’hommes et non plus le tribunal de commerce (L. 721-3, 2°) est seul compétent (Cour de cassation, 1er juin 2023, n° 21-25.430 et 22-15.545 et 7 juin 2023, n° 21-24.514 ; comparée avec Cour de cassation, 3 juin 2009, n° 08-41.933). En l’espèce, à la suite de la fin du contrat de travail (sur demande du salarié) le pacte prévoyait une clause de non-concurrence et de non-débauchage et une cession des parts.

On rappellera aussi que la cour d’appel de Paris, dans la lignée de ce nouveau régime, a refusé de donner effet à une clause de non-concurrence d’un associé salarié stipulée dans un pacte car disproportionnée (sur un territoire de plus de 440 millions d’habitants) et non rémunérée (cour d’appel de Paris, 21 octobre 2021, n° 18/21284). Elle a également refusé de donner effet à une clause de bad leaver entaînant une cession à la valeur nominale des actions “'c’est à dire pour un montant très inférieur à leur valeur” envers un associé salarié car comme s’analysant en une sanction pécuniaire rendant la clause non écrite en application de l'article L. 1331-2 du code du travail (cour d’appel de Paris, 12 mai 2022, n° 20/05597). Il faut en fait que la clause s’applique à tous les cas de licenciement autre que disciplinaire (Cour de cassation, 7 juin 2016, n° 14-17.978).

A noter : on retrouve cette même problématique de sanction dans les cas de vesting des stock-options, des attributions gratuites d’actions ou, dans une moindre mesure (en l’absence véritablement de vesting) des BSPCE.

On voit bien les conséquences de ce nouveau régime notamment lorsqu’il faudra exécuter les clauses good, medium ou bad leaver résultant de la fin du contrat de travail de l’associé salarié.

A noter : le prix différencié pour les associés salariés en cas de licenciement relevant d’un cas disciplinaire semble donc prohibé et permis uniquement pour les associés dirigeants, par exemple, non liés avec la société par un contrat de travail.

Pour éviter toutes ces problématiques, une solution semble consister, lorsque cela est possible, à faire signer le pacte d’associés avant le contrat de travail. Il semble en effet que ce régime ne s’applique que si au moment de la signature du pacte d’associés, l’associé était lié par un contrat de travail (Cour de cassation, 8 octobre 2013, n° 12-25.984 : “après avoir constaté qu'à la date du protocole de cession prévoyant l'engagement de non-concurrence, M. X... avait la seule qualité d'associé et n'était devenu salarié que postérieurement à la conclusion du protocole prévoyant cet engagement, la cour d'appel a violé les textes susvisés”). Il faut que dans ce cas, les clauses (cession forcée, non-concurrence, non-débauchage) s’exécutent du fait de la cessation de toute activité au sein de l’entreprise (condition d’exécution des promesses de cession et des clauses de non-concurrence résultant de la cession) et non de la seule fin du contrat de travail. En effet, la Cour de cassation a rappelé récemment l’indépendance des promesses de cession stipulée dans un pacte (Cour de cassation, 21 juin 2023, n° 21-25.952, 6 novembre 2019 n° 18-14.287 et 6 mai 2014, n° 13-17.349).

A noter : il convient également de noter qu’une clause de non-concurrence est consubstantielle à une vente (pour autant que la participation du vendeur soit significative selon nous). En effet, la clause de non-concurrence dans les actes de cession n’est que la sœur jumelle de la garantie légale d’éviction à tel point que la Cour de cassation étend parfois les effets d’une clause de non-concurrence (via la garantie légale d’éviction) alors que celle-ci a expiré contractuellement (Cour de cassation, 15 décembre 2009, n° 08-20.522).

Matthieu Vincent

Avocat au barreau de Paris