Cession de parts ou de titres (actions ordinaires, actions de préférence, etc.) : qui a droit aux dividendes ?

En matière de cession de parts ou de titres, notamment d’actions (ordinaires, de préférence, etc.), la date de jouissance présente une importance lors de la distribution de dividendes.

A noter : un dividende (étymologiquement : diviser) n’est pas seulement ce qui est distribué annuellement lors de l’affectation du résultat mais toute somme distribuée aux associés ou actionnaires (autre que du capital ou des primes qui sont considérés comme un remboursement d’apport, à certaines conditions, voir Bulletin officiel des finances publiques, §. 60).

Le droit aux dividendes en l’absence d’accord particulier

On sait que le dividende présente la nature d’un fruit (voir notre article).

Or, en matière de fruits, le code civil dispose que “Les fruits civils sont réputés s'acquérir jour par jour et appartiennent à l'usufruitier à proportion de la durée de son usufruit” (article 586). Cette règle s’applique à tous fruits civils (même article). Les dividendes prélevés sur les bénéfices étaient considérés comme des fruits civils (Cour de cassation, 21 octobre 1931) jusqu’à ce que la Cour de cassation ne prenne plus position sur leur nature civile ou non.

La règle précitée du code civil est écartée par les tribunaux (Cour de cassation, 9 juin 2004, n° 01-02.356). Aujourd’hui, seul compte la décision des associés (ou de l’organe de direction s’il s’agit d’un acompte) car elle seule fait naître la créance de dividendes de l’associé sur la société (Cour de cassation, 23 octobre 1990, n° 89-13999). Par conséquent, à défaut de stipulation contraire du contrat de cession, c’est celui qui dispose de la jouissance des parts ou titres à cette date qui dispose de la créance.

A noter : en matière de cession de titres, la date de jouissance est généralement la date d’inscription en compte de l’associé qui transfert la propriété (L. 221-17, I) laquelle doit être fixée entre les parties (R. 228-10).

Si la cession intervient après la décisions ayant fait naître la créance de dividendes, il ne semble pas que cette créance puisse être considérée comme un accessoire des parts ou titres cédés et donc cédée avec eux (selon le principe pourtant de l’article 1615 du code civil : “L'obligation de délivrer la chose comprend ses accessoires et tout ce qui a été destiné à son usage perpétuel”.). Cette interprétation semble confirmée par l’article 1614 du code civil qui dispose que : “La chose doit être délivrée en l'état où elle se trouve au moment de la vente. Depuis ce jour, tous les fruits appartiennent à l'acquéreur.” A contrario donc, tous les fruits avant la vente appartiennent au cédant.

Seule la date de la vente (jouissance) étant prise en compte, peu importe donc que les dividendes soient payés après la vente, si la créance est née avant la vente, le paiement devra intervenir au profit du cédant.

A noter : il convient donc d’informer la société de la date de la vente (ou de son annulation le cas échéant) pour que celle-ci puisse payer la bonne personne. Normalement, cette information intervient, en matière de cession de parts sociales, au moment des formalités d’opposabilité à la société de la cession (voir notre article) et, en matière de cession de titres, de la notification prévue par la réglementation (R. 228-10).

A noter : en présence de nue-propriétaire et d’usufruitier, voir notre article sur les ayants droit aux dividendes.

La modification de la date de jouissance

Le droit français de la vente permet de dissocier la date de la vente, la date du transfert de propriété et la date de jouissance de l’objet cédé (ce ne sont pas en effet des règles d’ordre public,).

Les parties à la cession peuvent donc convenir une date de jouissance différente de celle de la vente ou du transfert de propriété (répartition prorata temporis, date de jouissance à compter du premier jour de l’exercice en cours, etc.).

A noter : il peut y avoir une difficulté d’interprétation. Lorsque un prorata temporis ou la date de début d’exercice est visé, ces règles sont mal adaptées si la société dispose de réserves et que celles-si sont distribuées (même si normalement le prix de cession devrait tenir compte de ces réserves). Ces règles n’ont de sens que pour les résultats non encore connus de l’exercice en cours. Si tel n’était pas le cas, il conviendrait alors de le préciser dans l’acte (par exemple, si le prorata temporis concerne également les exercices antérieurs: : voir cour d’appel de Rouen, 23 mai 2002, n° 00-45-48 cité in Mémento expert Francis Lefebvre, Cessions de parts et actions).

On utilise généralement les termes “coupon attaché” (dividendes transférés) ou “coupon détaché” (dividendes non transférés) pour déterminer si le cessionnaire dispose ou non de la créance de dividendes. On peut aussi utilisé les termes “avec tous ses avantages et obligations” pour transférer le droit aux dividendes (Cour de cassation, 11 mars 1986, Juris-Data 1986-099579).

La répartition des dividendes en-dehors des règles du droit commun peut entraîner des conséquences fiscales (sur la plus-value de cession du cédant ou les revenus du cessionnaire) si une telle répartition attribue des dividendes à une personne qui n’y avait pas droit (selon les règles de droit commun rappelées ci-dessus).

Synthèse des différentes hypothèses

Si la cession intervient avant la décision de distribution des dividendes (ou si aucune distribution de dividendes n’est envisagée malgré des résultats bénéficiaires ou en présence de réserves importantes), le cessionnaire aura droit aux dividendes, sauf clause contraire de l’acte de cession.

Si la cession intervient après la décision de distribution des dividendes, le cédant aura droit aux dividendes, sauf clause contraire de l’acte de cession.

Matthieu Vincent

Avocat au barreau de Paris