Baux commerciaux : la compétence facultative ou exclusive du tribunal de commerce (R. 211-4, R. 211-3-26, L. 721-3)

On sait que le juge naturel des baux commerciaux est le tribunal judiciaire.

En effet, aux termes des articles R. 211-4 et R. 211-3-26 du code de l’organisation judiciaire, le tribunal judiciaire connaît seul « de l’une ou plusieurs des compétences suivantes : [...] 2° Des actions relatives aux baux commerciaux fondées sur les articles L. 145-1 à L. 145-60 du code de commerce ; » et « a compétence exclusive dans les matières déterminées par les lois et règlements, au nombre desquelles figurent les matières suivantes : [...] 11° Baux commerciaux à l'exception des contestations relatives à la fixation du prix du bail révisé ou renouvelé, baux professionnels et conventions d'occupation précaire en matière commerciale ».

Mais, on sait aussi qu’aux termes de l’article L. 721-3, 1° du code de commerce, « Les tribunaux de commerce connaissent : 1° Des contestations relatives aux engagements entre commerçants, entre artisans, entre établissements de crédit, entre sociétés de financement ou entre eux ; ».

S’il est certain que lorsque le litige, autres que ceux relatifs au prix du bail révisé ou renouvelé, concerne l’application du statut des baux commerciaux (Cour de cassation, 9 mai 2012, n° 11-23.135) ou nécessite une interprétation du statut des baux commerciaux (Cour de cassation, 18 octobre 2016, n° 14-27.212), le tribunal judiciaire a compétence exclusive, la situation est plus complexe lorsque le litige concerne certes un bail commercial mais a pour fondement le droit commun des obligations.

Compétence facultative du tribunal de commerce

Lorsque le litige, concernant un bail commercial, a pour fondement le droit commun des obligations, le tribunal de commerce peut être saisi dès lors que le défendeur est commerçant (Cour de cassation, 10 mars 2015, n° 14-10.41).

Compétence exclusive du tribunal de commerce

Lorsque le litige, concernant un bail commercial, a pour fondement le droit commun des obligations, le tribunal de commerce doit être saisi dès lors que les deux parties sont commerçantes (Cour de cassation, 27 octobre 2009, n° 08-18.004 ; Cour de cassation, 30 septembre 1981, n° 81-12.35; et sur le principe de compétence générale du tribunal de commerce Cour de cassation, 20 décembre 2023, n° 22-11.185) ou que le litige présente un lien de connexité avec une matière commerciale (Cour de cassation, 21 janvier 2004, n° 02-12.711). 

A noter (compétence matérielle et clause d’élection de juridiction) : les choses peuvent se compliquer pour peu que le bail commercial stipule une clause d’attribution de juridiction contraire aux principes visés ci-dessus. Il est certain que si la clause contrevient à la compétence exclusive du tribunal judiciaire dès lors que le litige concerne le statut des baux commerciaux, elle soit considérée comme contraire à l’ordre public (cour d’appel de Paris, 24 octobre 2024, n° 24/1179 et 24/11828, sur le fondement des articles 48 et R. 211-4 du code de l’organisation judiciaire). Quid en revanche d’une clause entre commerçants qui attribuerait une compétence au tribunal judiciaire alors que le contentieux ne concernerait que des dispositions légales de droit commun ? Pour une admission (en-dehors des questions relatifs à un bail commercial : cour d’appel de Paris, 4 juin 2013, n° 12/23210 et 30 octobre 2019, n° 19/02807 ; pour le caractère d’ordre public de la compétence tribunal de commerce : ordonnance du juge de la mise en état, tribunal judiciaire de Bobigny, 18 juin 205 n° 24/05815 : “Or, la compétence du tribunal de commerce est exclusive dès lors que le litige opposant deux sociétés commerciales ne se fonde ni sur le statut des baux commerciaux ni sur l'interprétation de celui-ci (Com 8 nov. 2017, n°16-15.262, Civ. 2e, 28 sept. 2017, n°16-19.027, Civ. 3e, 10 mars 2015, n°14-10.341). La compétence d’attribution du tribunal de commerce étant d’ordre public, le tribunal peut prononcer d’office son incompétence, étant précisé que les parties ont été invitées à faire valoir leurs observations sur cette question, dans le respect du principe du contradictoire”. ).

A noter (compétence territoriale et clause d’élection territoriale) : la compétence ratione loci soulève également des questions lorsque le bail est conclu avec un commerçant et qu’il existe une clause attributive de compétence valable (c’est-à-dire pouvant être invoquée par une partie contre un commerçant) puisque l’article R. 145-23 du code de commerce, en matière de « contestations » relatives aux baux commerciaux, dispose que « la juridiction territorialement compétente est celle du lieu de la situation de l'immeuble » (voir également les dispositions de droit commun des articles 44 et 46 du code de procédure civile qui donnent ou peuvent donner compétence à la juridiction du lieu de situation de l’immeuble). Cette disposition est-elle d’ordre public ou bien l’article 48 du code de procédure civile permet-il d’y déroger ? On sait qu’en matière de clause compromissoire, l’ordre public semble prédominer lorsque le statut des baux commerciaux est concerné (Cour de cassation, 11 février 1964, n° 65). Un arrêt de la cour d’appel de Paris a décidé que l’article R. 145-23 n’était pas d’ordre public (Paris 25-11-2016 n° 16/08557 : « […] les parties à un bail commercial peuvent néanmoins conventionnellement déroger à la règle de compétence territoriale édictée par l'article R. 145-23 qui n'est pas d'ordre public par le biais d'une clause élisant le tribunal de grande instance d'un ressort autre que celui du lieu de situation de l'immeuble […] » tandis que la juridiction du premier degré des référés a décidé le contraire (tribunal judiciaire de Paris, service des référés, 21 juin 2024, n° 23/56868) écartant aussi une clause attributive de compétence (tribunal judiciaire de Paris, service des référés, 21 juin 2024, n° 23/55694). Voir également communiqué des services des référés du tribunal judiciaire de Paris du 21 juin 2024). Il semble que la question ait été tranchée (sous réserve d’un arrêt futur contraire de la Cour de cassation) en faveur de la possibilité entre commerçants de choisir la compétence territoriale pou autant que la clause d’élection de compétence soit suffisamment claire et apparente (cour d’appel de Paris, 24 octobre 2024, n° 24/1179 et 24/11828, sur le fondement des articles 48 et R. 211-4 du code de l’organisation judiciaire). La cour d’appel considère également que la clause se référant pour tout litige aux “tribunaux de Paris” est suffisamment claire (il en irait différemment selon nous de la clause donnant compétence aux tribunaux du “ressort de la cour d’appel de Paris” puisqu’une telle clause vise de très nombreux tribunaux et est donc incapable de déterminer un tribunal sur lequel les parties sont convenues de soumettre leur différent). Il convient de noter que ces arrêts sont des arrêts en matière de référé et qu’ils restent fragiles (même si le communiqué de la première présidence donne à l’arrêt de la cour d’appel de Paris de 2024 une certaine portée).

A noter que, dans le cadre de certaines procédures collectives, sous réserve des pouvoirs attribués en premier ressort au juge-commissaire, le tribunal des activités économiques, saisi de la procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire du débiteur, connaît de toutes les actions et les contestations relatives aux baux commerciaux qui sont nées de la procédure et qui présentent avec celle-ci des liens de connexité suffisants (L. 2023-1059, article 26, alinéa 6).

Voir également notre article La responsabilité du bailleur et du commissaire de jutsice dans la saisie-conservatoire des loyers impayés (CPCE, L. 511-2, L. 512-2).

Matthieu Vincent

Avocat au barreau de Paris