Les conditions de l'expertise de gestion (C. com., L. 223-37, L. 225-231)
Le code de commerce permet à certaines personnes (associés, actionnaires, ministère public, comité social et économique, association) de demander en référé (R. 223-30, R. 225-163) la désignation d'un ou plusieurs experts chargés de présenter un rapport sur une ou plusieurs opérations de gestion (L. 223-37, L. 225-231).
Nous passons en revue les conditions de cette expertise.
Demandeur
Si les associations et associés doivent d’abord poser par écrit les questions sur les opérations de gestion déterminées, en revanche le ministère public ou le comité social et économique n’est pas soumis à cette condition préalable.
Ni la circonstance qu'un associé se soit abstenu de participer aux assemblées ayant approuvé les opérations de gestion litigieuses ni le fait qu'il n'ait exercé aucun recours contre les décisions d'approbation ne sont de nature à faire obstacle à sa demande d'expertise de gestion (Cour de cassation, 5 mai 2009, n° 08-15.313 ; Cour de cassation, 15 juillet 1987, 86-13.644). De même, les dispositions légales n'imposent pas que les actionnaires minoritaires aient ignoré les opérations sur lesquelles ils désirent être renseignés (par exemple un demandeur ayant participé à la première délibération du conseil d'administration relative à la création de la société filiale, qui a ensuite cessé d'être administrateur et s'est vu refuser toute réponse à ses questions sur l'exploitation de cette société, la demande de nomination d'experts doit être accueillie : Cour de cassation, 15 juillet 1987, 86-13.644).
Le fait qu’une action en responsabilité ou en nullité de l'opération litigieuse soit prescrite n’empêche pas la mesure (Cour de cassation, 15 juillet 1987, précité).
Le demandeur n’a pas à prouver l'épuisement de tous les autres moyens d'information (Cour de cassation, 21 octobre 1997, n° 95-17.904). En revanche, la demande doit être utile, c’est-à-dire que les informations ne figurent pas dans d’autres documents dont le demandeur a reçu communication (Cour de cassation, 12 février 2008, n° 06-20.121).
Destinataire
L’action est intentée contre la société et non, comme en matière d’injonction de faire, contre les dirigeants en leur nom personnel (voir ci-dessous).
Juridiction
La compétence appartient au président du tribunal de commerce (R. 223-30, R. 225-163) du lieu du siège de la société. Une clause compromissoire n’empêche pas la saisine de la juridiction (car il s’agit d’une simple mesure d’information).
Présomptions d’irrégularité ou d’atteinte
Le demandeur n’a pas à justifier la preuve d’une atteinte à l’intérêt social, « puisque la mesure d'information et de contrôle organisée par le texte tend justement à l'établissement de cette preuve » (Cour de cassation, 15 juillet 1987, n° 86-13.644). L’action n’est pas non plus subordonnée à d'éventuelles actions en responsabilité contre les administrateurs ou en nullité des délibérations sociales (même arrêt).
L’expertise doit être ordonnée par la juridiction dès lors qu’elle relève des présomptions d'irrégularités affectant une ou plusieurs opérations de gestion déterminées (Cour de cassation, 22 mars 1988, n° 86-17.040 ; Cour de cassation, 24 octobre 2018, n° 17-12.582) ou que les opérations sont susceptibles (ou risquent) de porter atteinte à l’intérêt social (Cour de cassation, 18 octobre 1994, n° 92-19.159 ; Cour de cassation, 10 février 1998, n° 96-11.988 ; Cour de cassation, 17 janvier 2012, n° 10-27.562 ), voire que les opérations sont susceptibles de compromettre le fonctionnement ou la pérennité de l'entreprise (Cour de cassation, 18 octobre 1994, précité) ou pour prévenir une mauvaise gestion (Cour de cassation, 9 février 1999 , n° 96-17.581). Il en va ainsi, par exemple, lorsque la société n’établit aucune comptabilité, qu'elle ne réunit pas ses associés et que son gérant ne répond pas aux demandes de son associé (Cour de cassation, 21 avril 2022, n° 20-11.850). Il en va ainsi par exemple si à compter de la conclusion des conventions avec des sociétés concurrentes constituées par les dirigeants de la société, le chiffre d'affaires de cette dernière n'avait pas brutalement baissé et cette circonstance était de nature à faire présumer l'existence d'irrégularités préjudiciables à l'intérêt de cette société (Cour de cassation, 5 mai 2009, n° 08-15.313).
Objet de l’expertise
Il doit s’agir d’une opération de gestion déterminée.
L’expertise ne peut donc porter sur la gestion de la société dans son entier (Cour de cassation, 25 mai 1974, n° 73-10.650 ; Cour de cassation, 24 octobre 2018, n° 16-25.297) ou sur des décisions des associés (par exemple une augmentation de capital ou la rémunération d’un dirigeant décidée par les associés) qui ne constituent pas un acte de gestion (Cour de cassation, 14 décembre 1993, n° 92-21.225 ; Cour de cassation, 25 septembre 2012, n° 11-18.312 ; Cour de cassation, 30 mai 1989, n° 87-18.083).
A noter : la conclusion d'une convention de compte courant d'associé constitue une opération de gestion (Cour de cassation, 21 avril 2022, n° 20-11.850) bien qu’elle puisse faire l’objet d’une décision des associés (Cour de cassation, 5 mai 2009, n° 08-15.313). Sur une opération de scission relevant du conseil d’administration, l’assemblée n’étant appelée qu’à se prononcer sur les conséquences (Cour de cassation, Cour de cassation, 12 Janvier 1993, n° 91-12.548).
Mission de l’expert
L’expert a pour mission de déterminer si les opérations de gestion portent atteinte à l’intérêt social; compromettent gravement l’intérêt social (cour d’appel de Paris, 7 mars 1990, n° 89/22134), ou sont affectées d’irrégularités préjudiciables à l’intérêt de la société (voir les arrêts de la Cour de cassation cités ci-dessus).
Mesures annexes
On peut noter que l’expertise de gestion peut être couplée avec (ou suivie par) une injonction de faire (communication) prévue par l’article L. 238-1 du code de commerce (la procédure doit alors être dirigée contre les dirigeants en leur nom personnel et non la société elle-même : Cour de cassation, 1er juillet 2008 n° 07-20.643 ; Cour de cassation, 21 avril 2022, n° 20-11.850) ainsi qu’avec une expertise dite in futurum (probatoire) dans le cadre d’un futur contentieux prévue par l’article 145 du code de procédure civile dès lors que l'objet de la mesure d'instruction sollicitée est d'établir, avant un procès, la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution du litige (Cour de cassation, 7 décembre 1981, n° 80-11.853 ; couplage : Cour de cassation, 18 octobre 2011, n° 10-18.989 ; suivi : Cour de cassation, 15 septembre 2015, n° 13-25.275). Mais les ces procédures annexes ne doivent pas aboutir à un détournement de l’expertise de gestion, d’où la condition pour l’article 145 précité de la conservation ou de l’établissement de la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige (Cour de cassation, 11 septembre 2024, n° 22-24.160 et 23-12.681).
Avocat au barreau de Paris