Les fusions entre sociétés par actions et sociétés civiles (1844-4, 1854-1, L. 236-11)

Question : est-il possible de fusionner une société par actions et une société civile ?

Réponse : tout dépend du sens de la fusion et de la nature de la fusion .

! Attention ! Entrée en vigueur de l’ordonnance n° n° 2023-393 renumérotant les articles du code de commerce sur les fusions (voir notre article), cet article n’a pas encore été mis à jour.

Explications : le principe ne peut pas être plus clair “Une société, même en liquidation, peut être absorbée par une autre société ou participer à la constitution d'une société nouvelle, par voie de fusion” (1844-4).

Les fusions entre une société par actions et une société civile sont donc autorisées en droit français.

Il existe toutefois des subtilités selon notamment le sens et la nature de la fusion. Le régime juridique est par ailleurs particulier.

Sens de la fusion

Si l’absorption d’une société civile par une société par actions (commerciale par nature) ne soulève normalement pas de difficultés, en revanche l’absorption d’une société commerciale par une société civile est une opération plus délicate. Dans ce dernier cas, si la société civile absorbe une activité commerciale, elle pourrait être considérée comme une société commerciale créée de fait dont les règles sont sévères puisqu’alors soumises aux règles de la société en participation (1873).

A noter : en revanche, l’absorption d’une société commerciale par une société civile ne soulèverait pas de risques si la société commerciale a cessé toute activité commerciale. Nous avons eu ainsi le cas d’une société anonyme dont le seul objet était la détention d’un actif immobilier.

Nature de la fusion

Si les sociétés par actions et les sociétés civiles peuvent fusionner, en revanche elles ne peuvent bénéficier du régime allégé des fusions simplifiées.

En effet, les fusions simplifiées ne peuvent pas intervenir entre une société commerciale et une société civile. Cela ressort clairement des termes des articles L. 236-11 du code de commerce, fusions entre sociétés par actions, (“[…] la société absorbante détient en permanence la totalité des actions représentant la totalité du capital des sociétés absorbées ou qu'une même société détient en permanence la totalité des actions représentant la totalité du capital de la société absorbante et des sociétés absorbées […]”) et 1854-1 du code civil, fusion entre sociétés civiles (“En cas de fusion de sociétés civiles […]”).

A noter : il peut y avoir un intérêt à procéder à une fusion simplifiée notamment lorsque l’actif net de la société absorbée est négatif*. En effet, seules les fusions simplifiées (voir toutefois notre article sur les fusions inversées) permettent une telle opération (en l’absence d’augmentation de capital dans une fusion simplifiée). En présence d’un actif net négatif de la société absorbée, une solution consiste alors soit à utiliser la transmission universelle de patrimoine (TUP) [mais voir la note ci-dessous en présence d’actifs immobiliers], soit à transformer préalablement la société à absorber (lorsqu’il s’agit d’une société civile) en société par actions (voir notre remarque suivante toutefois). La transformation pour pouvoir réaliser une fusion simplifiée peut en effet être privilégiée pour différentes raisons (effet rétroactif ou différé de l’opération, inconvénient de la TUP qui est suspendu en cas d’opposition ou si la société civile est à prépondérance immobilière, etc.). *Rappelons qu’en cas d’actif net négatif, le plan comptable général admet, par dérogation, de retenir la valeur réelle à certaines conditions (art. 743-3).

A noter : la fusion simplifiée ou fusion-absorption d’une société détenue à 100,00 % peut avoir un intérêt financier par rapport à la transmission universelle de patrimoine de l’article 1844-4 du code civil (TUP) car, certainement par inadvertance, contrairement à la TUP, l’absorption d’une société ayant des actifs immobiliers ne serait pas soumise à la taxe de publicité foncière visée à l’article 678 du code général des impôts et aux frais d’assiette et de recouvrement visés à l’article 1647, V du code général des impôts.

A noter : les conséquences de l’impossibilité d’appliquer le régime des fusions simplifiées semblent néanmoins limitées dans la mesure où la désignation d’un commissaire à la fusion et aux apports ne serait pas nécessaire dans certains cas (voir notre article Fusion entre société par actions et société civile : faut-il désigner un commissaire à la fusion ou aux apports (L. 236-10, L. 225-147) ? ). Par ailleurs, dans la mesure où il n’y a pas d’échange de titres, rien ne s’opposerait, selon nous, à ce que l’actif net de la société absorbée soit négatif même s’il ne s’agit pas, à proprement parler, d’une fusion soumise au régime des fusions simplifiées.

A noter : sur le débat de l’application du régime des fusions simplifiées entre sociétés civiles, voir notre article.

Régime juridique

La particularité des fusions entre une société commerciale et une société civile est leur nature hybride. Ainsi, elles ne sont pas soumises au régime juridique applicable aux fusions entre sociétés par actions (L. 236-8 à L.236-22) , entre sociétés à responsabilité limitée (L. 236-23 à L. 236-24), ou entre sociétés par actions et sociétés à responsabilité limitée (L. 236-2, in fine).

Elles ne sont pas non plus soumises au régime de “droit commun” des fusions entre sociétés commerciales. Ainsi, il n’est pas correct d'indiquer que les dispositions de la section 1 (Dispositions générales) du chapitre IV (De la fusion et de la scission) du titre III (Dispositions communes aux diverses sociétés commerciales) du livre II (Des sociétés commerciales et des groupements d’intérêt économique) du code de commerce s’appliquent à toutes les fusions quelle que soit la forme des sociétés (en ce sens, V.P. Mérat, Fusions et sociétés de personnes : aspects pratiques, Droit des sociétés, n° 8-9, août 2002). Ces dispositions ne concernent que les fusions entre sociétés commerciales de forme différente.

A noter : Certes, l’article L. 236-2 dispose que « Les opérations visées à l'article L. 236-1 peuvent être réalisées entre des sociétés de forme différente. ».

Il convient toutefois de ne pas commettre d’anachronisme juridique. Ces dispositions sont en effet issues de l’article 372 de la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales. Or, non seulement les travaux préparatoires de la loi de 1966 mais aussi la codification de 2000 rappellent que sont seules visées par cet article les opérations de fusion entre sociétés commerciales de forme différente (et non pas entre toute forme de société et une société commerciale).

Le sénateur à l’origine de ces dispositions légales le mentionnait sans ambiguïté dans son rapport en ces termes : « Or, il ne peut être contesté que toute société, quelle qu'en soit la forme, a le droit d'absorber une société, d'être absorbée par elle ou de se scinder. Il est donc apparu nécessaire d'insérer dans le projet des dispositions qui régissent la matière -à propos de toutes les formes de sociétés et il n'est pas de meilleure place à cet égard que le chapitre VI du titre ler, qui traite des « disposi­tions communes aux diverses sociétés commerciales dotées de la personnalité morale », et dans lequel une section III bis (nouvelle) serait intitulée : « Fusion et scission » (M. Molle, Rapport fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation, du suffrage universel, du règlement et de l’administration sur le projet de loi adopté par l’assemblée nationale, sur les sociétés commerciales, n° 81, session 1965-1966, p. 341 et suivantes). Et de prendre comme exemple une fusion entre une société anonyme et une société en nom collectif (société commerciale). L’objet de la loi (sociétés commerciales), la réunion des dispositions légales dans une section relative “aux diverses sociétés commerciales” et l’exemple donné (fusion entre une société de capitaux et une société de personne, toutes deux commerciales) montrent que les dispositions du code de commerce concernent uniquement les opérations de fusion entre sociétés commerciales (et non toute fusion impliquant une société commerciale).

Il en va de même s’agissant de la codification de cet article par l’ordonnance n° 2000-912 du 18 septembre 2000 relative à la partie législative du code de commerce « à droit constant » créant le Titre III « consacré aux dispositions communes aux diverses sociétés commerciales [...] » (Rapport au Président de la République du 18 septembre 2000 relative à la partie Législative du code de commerce, Journal officiel, n° 219, 21 septembre 2000, p. 14779).

Il ne fait donc aucun doute que les dispositions précitées de la section 1 et notamment l’article L. 236-2 du code de commerce ne s’appliquent qu’aux opérations de fusions impliquant uniquement des sociétés commerciales de forme différente.

Ce sont, au contraire, les dispositions de l’article 1844-4 du code civil, situées au chapitre Ier (Dispositions générales) du titre IX (De la société) du code civil qui ont vocation à s’appliquer à toutes les opérations de fusion autre que celles entre sociétés commerciales (voir Journal officiel de l’Assemblée nationale, 24 juin 1975, 2è séance, p. 4659 : « ce long amendement tend [...] à introduire, en leur donnant une portée générale et applicable à toutes les sociétés, un certain nombre de dispositions » ).

A noter : quelles sont les conséquences de la non-application des dispositions générales sur les fusions du code de commerce à une fusion impliquant une société commerciale ? Au final, seuls les articles L. 236-3, II (absence d’échange de parts ou actions) et L. 236-4 (dates d’effet de la fusion) et L. 236-6, al. 2 et 3 (formalités) présentent des particularités par rapport au régime de droit commun des fusions (le reste des articles étant des principes inhérents aux opérations de fusion reconnus par la jurisprudence qui s’appliquent également aux fusions du régime de droit commun).

Il peut être pallié à la non-application du premier de ces articles (L. 236-3, II) en stipulant expressément dans le traité de fusion l’absence d’échange (il s’agit d’une modalité de la fusion au même titre qu’une réduction de capital pour annulation des titres).

S’agissant de la non-application du deuxième de ces articles (L. 236-4), seule la rétroactivité serait écartée dans une fusion du régime de droit commun car il semble qu’il ne puisse y avoir rétroactivité sans texte (voir en ce sens, concernant la dissolution-confusion dite transmission universelle du patrimoine (TUP), les lettres du Garde des Sceaux au président de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes du 10 avril 2003 et au délégué général de l'Association nationale des sociétés par actions du 27 avril 2004 : “« [... ] la rétroactivité n'a qu'un caractère exceptionnel dans notre droit et ne se préjuge pas [...] et [...] qu'il n'y a pas de rétroactivité sans texte [...]"). En revanche, le traité de fusion pourrait stipuler une date d’effet différé conformément aux stipulations de l’article 1305 du code civil.

Enfin, pour la non-application du troisième de ces articles (L. 236-6, al. 2 et 3), dans la mesure où il n’y a pas de délai d’opposition des créanciers (voir ci-dessous), on peut bien se demander à quoi servirait le dépôt et la publicité, l’inscription de la fusion auprès du greffe du tribunal de commerce informant les tiers de l’opération. Resterait le cas de la déclaration de conformité “à peine de nullité”. Rappelons que cette déclaration n’a été prévue que pour les fusions entre sociétés anonymes et non pas par une société anonyme (et par extension de la législation française aux sociétés en commandite par actions et aux sociétés par actions simplifiées avant d’être supprimée pour ces sociétés) : directive 78/855/CEE du conseil du 9 octobre 1978, puis directive 2011/35/UE du 5 avril 2011 concernant les fusions des sociétés anonymes puis directive actuelle (UE) 2017/1132 du 14 juin 2017 relative à certains aspects du droit des sociétés, l’exigence du contrôle préventif se situant dans le chapitre I (Fusion des sociétés anonymes) du titre II (Fusions et scissions des sociétés de capitaux). L’ensemble de ces textes se réfèrent en effet en introduction à l’information et la protection “des actionnaires des sociétés qui fusionnent”. La déclaration de conformité n’est donc pas applicable à une opération de fusion entre une société anonyme et une société civile, une telle fusion de droit commun sortant du champ d’intervention de la réglementation européenne et donc de l’article L. 236-6, alinéa 3.

C’est bien la position retenue par le comité de coordination du registre du commerce et des sociétés en ces termes : « une opération réalisée entre une société commerciale et une ou plusieurs sociétés civiles, n’est pas régie par les dispositions du code de commerce mais par le droit commun des fusions (article 1844-4 du code civil) » (avis n° 08-08 du 10 février 2009) . L’administration fiscale adopte également la même position (notamment Bulletin officiel des impôts, BOI-ENR-AVS-20-60, §. 1).

A noter : le champs d’application du titre VII (Comptabilisation et évaluation des opérations de fusion et opérations assimilées) du règlement n° 2014-03 du 5 juin 2014 relatif au plan comptable général (en voie de modification) ne s’applique que pour la société absorbante si et si seulement si elle est une société commerciale (les règles du plan sont donc exclues si la société absorbante est une société civile ou pour la société absorbée société civile). Toutefois, dès lors que la société absorbante applique de manière obligatoire ou volontairement le plan comptable général, ces règles s’appliquent à elles (voir avis du comité d’urgence n° 2006-B du 5 juillet 2006 afférents aux modalités d’application du règlement CRC n° 2004-01 et note de présentation de l’avis n° 2006-B sous article 740-1 du Recueil des normes comptables de 2017 repris de manière générale par le commentaire IR 2 sur le champ d’application de l’article 740-1 en ces termes : “Le présent titre s’applique, à toutes les entités visées à l’article 710-1, quels que soient la forme juridique de l’entité absorbée et les principes comptables auxquels elle est soumise”.). Certes, pour la société absorbante appliquant le plan comptable général, les apports sont inscrits pour leurs valeurs figurant dans le traité d’apport (article 720-1). Mais, la valeur des apports est celle de la société absorbée (les traités indiquent régulièrement la valeur de l’actif net de la société absorbante, ce qui n’a aucun intérêt en soi, voir notamment commentaire (3) du §. 1 du Bulletin officiel des impôts, BOI-IS-FUS-30-10).

Lorsque l’opération n’est pas une fusion entre sociétés commerciales, la valeur des apports à indiquer dans le traité est-elle celle des règles de l’article 740-1 et suivants du plan comptable général ou celle de l’article 213-1 du même plan (règles relatives à la comptabilisation des apports de droit commun) ?

A lire le plan comptable général et au vu de ce qui a été indiqué ci-dessus, c’est donc la valeur réelle qu’il faudrait indiquer dans le traité pour les apports de la société absorbée quelque soit le sens de fusion ou les conditions de contrôle entre les entités ou la forme commerciale de la société absorbante. En effet, le plan comptable général indique que les règles particulières de valorisation des apports en matière de fusion (les règles provenant des méthodes d’évaluation en matière de consolidation selon le principe de « prééminence de la réalité sur l’apparence » ou « substance over the form », voir notre article) s’appliquent aux entités mentionnées à l’article 710-2 du plan (article 720-1). Or, les entités visées sont celles qui réalisent une “opération définie à l’article L. 236-1 alinéa 1er du code de commerce” (on notera que le plan comptable général ne vise pas l’article 1844-4 du code civil). Or, nous savons que ces opérations ne concernent que les fusions entre sociétés commerciales de formes semblables ou différentes. Donc, elles ne concernent pas les fusions entre une société commerciale et une société civile qui est soumise au régime de droit commun des fusions (article 1844-4 du code de commerce). Dès lors, les règles de valorisation des apports seraient les règles de droit commun, c’est-à-dire la valeur réelle.

Ainsi, dès lors qu’une société non commerciale est impliquée dans la fusion, les dispositions du code de commerce ne s’appliquent plus (ces dispositions réglementent une opération, la fusion entre sociétés commerciales, et non toute société commerciale qui réalise une fusion). Le régime de droit commun des fusions est le seul qui puisse s’appliquer.

A noter : nous avons eu confirmation de cette interprétation par un greffe important d’un tribunal de commerce. Seul le dépôt du traité de fusion pour la société commerciale absorbée par une société civile a été réclamée par le greffe dans le cadre de la radiation de la société (aucune formalité modificative de la fusion pour la société commerciale absorbée n’a été requise).

Le comité de coordination du registre du commerce et des sociétés a, dès lors, estimé dans que “Les dispositions de l’article L. 236-10 du code de commerce relatif à la désignation d’un commissaire à la fusion ne sont pas applicables à la fusion d’une société commerciale avec une société civile”. Une telle désignation n’est en effet prévue par les textes que pour les fusions entre sociétés par actions (L. 236-8 et L. 236-10), les sociétés à responsabilité limitée (L. 236-23), ou entre les sociétés par actions et les sociétés à responsabilité limitée (L. 236-2).

Le même raisonnement pourra s’appliquer, par exemple, aux délais d’opposition prévus uniquement pour les fusions entre sociétés anonymes ou, par assimilation, entre sociétés par actions simplifiées (L. 236-14) ou entre sociétés à responsabilité limitée (L. 236-23) ou entre sociétés par actions et sociétés à responsabilité limitée (L. 236-2). Il devrait en être de même pour le dépôt du traité, la publicité au Bulletin des annonces civiles et commerciales (Bodacc) et la déclaration de conformité, formalités uniquement applicable pour les sociétés commerciales (ou anonymes pour cette dernière formalité) dans le cadre d’une fusion avec une autre société commerciale (voir ci-dessus).

Matthieu Vincent

Avocat au barreau de Paris

Voir également nos autres articles sur les fusions : Le casse-tête des formalités de la fusion simplifiée (SAS) ; Est-il possible d'exclure des passifs dans une fusion (L. 236-3) ? ; Fusion simplifiée entre sociétés par actions : les opérations préalables à vérifier ou à réaliser (L. 236-11) ; Les délais d'opposition : réduction de capital, fusion, scission, TUP, fonds de commerce (L. 223-34, L. 225-205, L. 236-14, L. 236-21, 1844-5, L. 141-12) ; Fusion entre société par actions et société civile : faut-il désigner un commissaire à la fusion ou aux apports (L. 236-10, L. 225-147) ? ; Fusions entre sociétés civiles (SCI et autres) : revue des spécificités et débats sur la fusion simplifiée (C. civ., 1844-4, 1854-1) ; Fusion-absorption : parité d'échange, augmentation de capital, prime, boni et mali de fusion (pratique et calculs) ; Une fusion à l'envers peut-elle bénéficier du régime des fusions simplifiées (1854-1, L. 236-11, L. 236-12, L. 236-23) ? ; Fusion et scission : opposition des créanciers, que signifie l'inopposabilité de l'opération ? (C. com., L. 236-15, L. 236-24, L. 236-26) ; La réforme du régime des fusions, scissions et apports partiels d'actifs (O. 2023-393, d. 2023-430, C. com., L. 236-1 et s., R. 236-1 et s.) ; Le régime des fusions applicable selon la forme des sociétés participantes (SARL, SAS, SA, SCI, SNC, société en commandite simple ou par actions)