Les avances en compte courant d'associés sont-elles soumises aux dispositions interdisant le taux de l’usure ? (CMF, L. 315-5-1)

Question : les avances faites par une personne à une société dont elle est associée ou actionnaire sont-elles soumises à l’interdiction de l’usure ?

Réponse : alors que certains le soutiennent, nous sommes d’avis contraire pour plusieurs raisons fondamentales.

Explications : les opérations de crédit sont des opérations, dans l’intérêt général, réservées à des établissements agréés (monopole bancaire : L. 511-5). Il existe toutefois certaines dérogations, comme les opérations de crédit (de trésorerie) intragroupes (voir notre article) ainsi que les “prêts” d’associés (avances faites à la société dont une personne est associée ou actionnaire : L. 312-2).

Pour éviter les abus, la législation française interdit certaines opérations de crédit dès lors quel le taux est usuraire c’est-à-dire considéré comme le taux maximum autorisé (L. 313-5).

A noter : lors des débats parlementaire de la loi n° n° 2003-721, un député souhaitait “substituer au terme « usuraire », qui, selon le dictionnaire, est un peu péjoratif, l'expression « un taux maximum autorisé » (Assemblée nationale, compte-rendu intégral des débats, 3è séance du 6 février 2003, Journal officiel de la République française, 7 février 2003).

Cette législation s’applique-t-elle aux avances en compte courant d’associé ?

A noter : la règle sur le taux usuraire est normalement une règle du code de la consommation (L. 314-6 à L. 314-9) qui a été étendue aux prêts autres qu’à des consommateurs par les dispositions du code monétaire et financier (L. 313-5).

Certains tirent de l’article L. 313-5-1 du code monétaire et financier, une application de l’interdiction du taux usuraire aux avances d’associé sur la base d’un sophisme.

Aux termes de cet article : “Pour les découverts en compte, constitue un prêt usuraire à une personne physique agissant pour ses besoins professionnels ou à une personne morale se livrant à une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou professionnelle non commerciale tout prêt conventionnel consenti à un taux effectif global qui excède, au moment où il est accordé, de plus du tiers, le taux effectif moyen pratiqué au cours du trimestre précédent par les établissements de crédit ou les sociétés de financement pour les opérations de même nature comportant des risques analogues telles que définies par l'autorité administrative après avis du Comité consultatif du secteur financier.”

Les avances en compte courant impliquant '“un solde débiteur dans la comptabilité de la société. Dans cette perspective les soldes de comptes d'associés doivent relever du contrôle de l'usure conformément à l'adage selon lequel il n'y a pas lieu de distinguer là où la loi ne distingue pas.” (F. Vinckel, L. Godon, Comptes courants d'associés, Juris-classeur, Sociétés Traité, fascicule. 36-20, §. 39).

A noter : c’est la raison pour laquelle, une pratique appelle “prêt d’associé” les avances en compte courant d’associés car en matière de “prêt”, l’article L. 314-9 du code de la consommation (applicable sur renvoi de l’article L. 313-5 du code monétaire et financier) dispose que '“Les dispositions des articles L. 314-6 à L. 314-8 ne sont pas applicables aux prêts accordés […] à une personne morale se livrant à une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou professionnelle non commerciale ". On remarquera cependant que l’article L. 313-5-1 précité assimile le “découvert en compte” en “prêt usuraire”.

A noter : l’application de la réglementation sur le taux usuraire aurait deux principales conséquences. Civilement, les intérêts qui dépasseraient le taux de l’usure seraient alors remboursables soit par imputation sur les intérêts réguliers échus voire, en cas d’insuffisance, par imputation sur le principal soit par restitution avec intérêt légal à compter de leur paiement irrégulier (L. 313-5-2). Pénalement, l’application d’un taux usuraire serait sanctionné par l’article L. 341-50 qui, bien que situé dans le code de la consommation (et non expressément repris comme sanction par le code monétaire et financier), vise tout “prêt usuraire”, terme expressément utilisé par l’article L. 313-5-1 du code monétaire et financier précité (toutefois en matière pénale, l’interprétation des textes est normalement stricte).

Il s’agit pour nous d’un sophisme car le texte vise bien entendu les découverts (solde débiteur) du débiteur (emprunteur) et non ceux du créancier (prêteur), c’est-à-dire les découverts des comptes de dépôt auprès des établissements de crédit. Le raisonnement rappelé ci-dessus n’est ni plus ni moins qu’une interversion de la règle.

A noter : on entend en effet par “découvert en compte” les découverts des déposants auprès des établissements de crédit c’est-à-dire les “opérations de crédit consenties sous la forme d'une autorisation de découvert” (voir les dispositions actuelles du code de la consommation et les anciennes dispositions de l’article L. 312-1-1 du code monétaire et financier et l’arrêté du 8 mars 2005, art. 2, 8.).

Ce que vise l’article L. 313-5-1 précité ce sont les découverts du déposant, lorsque celui-ci, par ses opérations, aboutit à un solde débiteur dans les comptes du dépositaire. Or, en matière de compte courant d’associé, le compte courant du déposant ne peut être débiteur (L. 223-21, L. 225-43, L. 225-91, L. 227-12). C’est le dépositaire (société) qui est débiteur envers le déposant (associé) et non l’inverse.

Les travaux parlementaires de la loi à l’origine de l’article L. 313-5-1 (article 32 loi n° n° 2003-721 du 1er août 2003 pour l'initiative économique) ne disent pas autre chose. Ainsi, lors du débat à l’Assemblée nationale qui réintroduit, sur amendement du Gouvernement, le dispositif qui avait été supprimé par le Sénat (et qui deviendra notre fameux article L. 313-5-1) le rapporteur indiquait que l’amendement du Gouvernement “maintient le taux précédemment appliqué pour les découverts en compte, car les entreprises sont alors en situation de faiblesse vis-à-vis des établissements de crédit et méritent donc d'être protégées” (Assemblée nationale, compte-rendu intégral des débats, 3è séance du 6 février 2003, Journal officiel de la République française, 7 février 2003).

Les avances en compte courant d’associé sont un prêt et non un découvert en compte au sens de la réglementation sur l’usure et leur exclusion de la réglementation sur le taux usuraire rejoint la volonté de la représentation nationale qui, sans aucune ambiguïté à la lecture des travaux parlementaires, a souhaité, à deux reprises, faciliter le financement des entreprises (loi n° 2003-721) et des entrepreneurs individuels (loi n° 2005-882). Les avances en compte courant d’associé font bien entendu parti de ces moyens qui facilitent le financement des entreprises.

Pour toutes ces raisons, nous sommes d’avis que la réglementation du taux de l’usure n’a pas à s’appliquer aux avances en compte courant d’associé.

Matthieu Vincent

Avocat au barreau de Paris