Mésentente, difficultés, silence, contentieux, blocage (deadlock) entre associés ou avec les dirigeants d'une société : mandataire et administrateur "ad hoc", "provisoire", judiciaire

Dans certaines situations, une société ou ses organes sociaux (direction, assemblée, décision collective des associés) peuvent être bloqués du fait notamment d’une mésentente ou d’une carence.

Principes

Il existe un principe selon lequel le juge ne peut se substituer aux organes de la société. Ainsi, en matière de décision des associés, le juge ne peut prendre une décision à la place des associés (Cour de cassation, 9 mars 1993, n° 91-14.685) ni fixer le sens du vote (Cour de cassation, 4 février 2014, n° 12-29.348).

C’est la raison pour laquelle, la loi prévoit la désignation de mandataire “judiciaire” dans certains cas et, pour les autres cas, le juge peut désigner un mandataire “ad hoc” ou un administrateur dit “provisoire” ou “judiciaire” (voir en matière de procédures collectives les dispositions de l’article L. 631-9-1).

A noter : les termes mandataire ad hoc et administrateur judiciaire peuvent créer une certaine confusion car ce sont aussi les termes utilisés dans les procédures du livre VI du code de commerce en matière de difficultés des entreprises (mandat ad hoc, conciliation, sauvegarde, redressement, liquidation judiciaire).

Les mandataires judiciaires désignés en application d’une disposition légale ou les mandataires “ad hoc” ont une mission particulière tandis que les administrateurs provisoires/judiciaires ont une mission plus générale d’administrer provisoirement la société.

Ces mandataires ou administrateurs sont des administrateurs judiciaires.

A noter : l’article L 811-1 du code de commerce définit les administrateurs judiciaires comme des “mandataires, personnes physiques ou morales, chargés par décision de justice d'administrer les biens d'autrui ou d'exercer des fonctions d'assistance ou de surveillance dans la gestion de ces biens.”.

A noter : si les administrateurs judiciaires sont normalement inscrits sur la liste établie par une commission nationale, l’administrateur judiciaire peut également, exceptionnellement, être une personne physique justifiant d'une expérience ou d'une qualification particulière au regard de la nature de la mission (L. 811-2).

Il existe d’autres sortes d’intervenants judiciaires dans le fonctionnement d’une société, qui ne seront pas abordés ici, comme les contrôleurs (Cour de cassation, 7 juin 1988, n° 86-18.955), les observateurs de gestion (Cour de cassation, 19 décembre 1989, n° 88-15.270) ou les experts en opération de gestion (L. 225-231).

Quelle est la procédure à suivre pour désigner un mandataire ou un administrateur ?

Administrateur dont la désignation est expressément prévue par la loi

Il s’agit des mandataires judiciaires.

Conditions

Certaines dispositions légales prévoient des procédures particulières de désignation d’un mandataire dans certains cas.

Exemples : Ainsi, si la société civile se trouve dépourvue de gérant, tout associé peut réunir les associés ou, à défaut, demander au président du tribunal statuant sur requête la désignation d'un mandataire chargé de le faire, à seule fin de nommer un ou plusieurs gérants (1846) ou la convocation d’une assemblée à certaines conditions, notamment si une demande préalable au gérant a été faite depuis plus d’un mois. (D. 78-704, art. 39).

Dans les SARL, tout associé peut demander en justice la désignation d'un mandataire chargé de convoquer l'assemblée et de fixer son ordre du jour (convocation de l’assemblée annuelle : L. 223-26, convocation de toute assemblée : L. 223-27 et Cour de cassation, 6 février 2019, n° 16-27.560 : la demande est de droit si la demande avait été faite auparavant au gérant).

Pour les sociétés commerciales, toute personne peut demander au président du tribunal de désigner un mandataire chargé de procéder à la communication de certains documents (L. 238-1 , seuls les documents visés par ce texte sont communicables : Coir de cassation, Cour de cassation, 23 juin 2009, n° 08-14.117 a défaut utiliser les voies de droit commun) ou la convocation des associés pour statuer sur la clôture de la liquidation (L. 237-9).

Dans les cas prévus par la loi, aucune des conditions exigées pour la désignation d’un mandataire ad hoc ou d’un administrateur provisoire n’est requise (voir ci-dessous), seule la conformité ou l’absence de contrariété à l’intérêt social (et non la satisfaction des seules fins propres des demandeurs) devant être analysée (convocation de l’assemblée : Cour de cassation, 19 juin 1990, n° 89-14.092 ; 13 janvier 2021, n° 18-24.853 et 19-11.302 ; 15 décembre 2021, n° 20-12.307 ; 20 décembre 2023, n° 21-18.746 ; communication de documents sur le fondement de L. 238-1 ? : Cour de cassation, 21 juin 2018, n° 17-13.212).

Procédure

La procédure est généralement visée par les textes qui prévoient la désignation d’un administrateur.

Exemple : voir par exemple, pour les sociétés civiles, la procédure de désignation d'un mandataire chargé de provoquer la délibération des associés est la procédure accélérée au fond, ancienne procédure “en la forme des référés” (D. 78-704, art. 39).

Pour les SARL, la procédure de désignation d’un mandataire chargé de convoquer l'assemblée (L. 223-26 et L. 223-27 précités) est désigné par ordonnance du président du tribunal de commerce statuant en référé (L. 223-26 précité et R. 223-20). Il en va de même pour la communication des documents prévus par la loi (L. 238-1 précité) étant précisé que pour cette procédure c’est le dirigeant qui doit être attrait en justice et non la société (Cour de cassation, 1 juillet 2008, n° 07-20.643,).

A noter : par une jurisprudence contra legem, la Cour de cassation écarte le référé pour la procédure en la forme des référés donc accélérée au fond pour l’application des dispositions des articles L. 223-27 et R. 223-20 précités (Cour de cassation, 6 février 2019, n° 16-27.560 précité ci-dessus) peut être dû à une jurisprudence antérieure (cour d’appel de Reims, 17 juillet 1975, Juris-Data n° 1975-600035).

A défaut de précision particulière, la procédure est généralement celle “en la forme des référés” devenue la procédure “accélérée au fond”.

A noter : la procédure accélérée au fond est introduite par une assignation (et non une requête) et la décision est un jugement (et non une ordonnance).

La juridiction compétente dépend de la nature de la forme de la société (tribunal judiciaire pour les sociétés de forme civile et tribunal de commerce pour les sociétés de forme commerciale). C’est la juridiction du ressort du siège social de la société (CPC, 43) qui est normalement compétente.

La société est nécessairement partie à l’instance et doit donc être appelée à la cause (pour une demande de désignation d'un administrateur judiciaire pour qu'il réunisse une assemblée générale : Cour de cassation, 3 novembre 2004, n° 01-01.855).

Pouvoirs

L’administrateur a les pouvoirs que lui confèrent les textes prévoyant sa désignation.

Administrateur dont la désignation n’est pas expressément prévue par la loi

Il s’agit des mandataires “ad hoc” et des administrateurs provisoires ou judiciaires.

Conditions

1° Mandataire ad hoc

La désignation d’un mandataire ad hoc requiert les conditions des articles 835 ou 873 du code de procédure civile (prévenir un dommage imminent ou cessation d’un trouble manifestement illicite).

A noter ; une ordonnance de référé peut être rapportée en cas de circonstances nouvelles (CPC, 488, Cour de cassation, 21 septembre 2022, n° 20-21.416, voir ci-dessous).

La désignation d’un mandataire ad hoc n’est pas soumise aux conditions de la désignation d’un administrateur provisoire (société commerciale : Cour de cassation, 21 septembre 2022, n° 20-21.416 ; société civile : Cour de cassation, 17 octobre 2012, n° 11-23.153).

2° Administrateur provisoire

L’administration provisoire reste une mesure exceptionnelle (Cour de cassation, 25 janvier 2005, n° 00-22.457 cité ci-après) soumise à des conditions strictes (voir ci-après). Elle a pour objet de préserver les intérêts de la société et non de régler des difficultés entre associés (ces difficultés étant réglées par d’autres voies de droit comme l’abus de majorité ou de minorité, l’expertise de gestion, l’action ut singuli, l’action en nullité, etc. sauf mesures urgentes : voir par exemple Cour de Cassation, 17 janvier 1989, n° 87-10.966).

La désignation d’un administrateur provisoire d’une société commerciale requiert, contrairement au mandataire ad hoc, la preuve de circonstances rendant impossible le fonctionnement (normal) de la société, et menaçant celle-ci d'un dommage imminent (Cour de Cassation, 25 janvier 2005, n° 00-22.457) ou péril imminent (Cour de cassation, 18 mai 2010, n° 09-14.838 ; Cour de cassation, 14 octobre 2020, n° 18-20.240). En matière de société civile, les conditions sont quasi-identiques puisqu’elles exigent une situation de crise aiguë de nature à paralyser le fonctionnement de la société et à mettre gravement en péril les intérêts sociaux (Cour de cassation, 21 novembre 2000, n° 99-11.984).

A noter : il semble que la condition fondamentale soit la mise en péril de la société.

A noter : il semble que le péril peut concerner soit la société (son existence, comme un risque de dissolution ou de procédures collectives) soit l’intérêt social (par exemple des malversations).

A noter : si la situation n’est pas surmontable, il faut alors se diriger vers une procédure au fond qu’est la dissolution judiciaire (1844-7) dont les conditions sont également extrêmement strictes.

A noter : la désignation d’un administrateur provisoire n’empêche pas le dirigeant de droit de contester cette nomination (Cour de cassation, 7 janvier 2004, n° 01-10.034).

Procédure

Généralement c’est le juge du référé judiciaire (CPC, 834, 835) ou commercial (CPC, 872, 873) qui est saisi compte-tenu de l’urgence ou du dommage imminent ou de la demande de mesures conservatoires. La société devant être mise en cause (société civile : Cour de Cassation, 25 mars 1992, n° 90-21.743 ; société commerciale : Cour de Cassation, 3 novembre 2004, n° 01-01.855).

A noter : voir également la procédure sur requête (judiciaire : 845 ; commercial : 875), qui entraîne l’absence de contradictoire si cela se justifie (impossibilité d’identifier un contradicteur comme en matière de succession ou absence de contradicteur ou de représentant légal : Cour de cassation, 19 décembre 2006, n° 05-17.67 contra cour d’appel de Paris, 14 mai 2013, n° 13/00026, un mandataire as hoc devant être désigné pour représenter la société). En cas de rétractation de la requête, la désignation est rétroactivement annulée (Cour de cassation, 28 mars 2013, n° 11-11.320).

A noter : une demande au cours d’une instance au fond peut également être faite.

Lorsque la procédure est contradictoire, c’est la juridiction du ressort du siège social de la société (CPC, 43) qui est normalement compétente.

Pouvoirs

1° Mandataire ad hoc

Le mandataire ad hoc dispose de pouvoirs spéciaux qui lui sont attribués par la décision le désignant. Contrairement à l’administrateur judiciaire (voir ci-après), les dirigeants de droit ne sont pas dessaisis par sa désignation (Cour de cassation, 13 octobre 2009, n° 08-15.722).

Le mandataire peut ainsi représenter les associés minoritaires défaillants et voter en leur nom dans le sens des décisions conformes à l'intérêt social mais ne portant pas atteinte à l'intérêt légitime des minoritaires (Cour de cassation, 9 mars 1993, n° 91-14.685 précité ; 5 mai 1998, n° 96-15.383).

Administrateur provisoire

L’administrateur provisoire a, à défaut de précision expresse de la décision qui le désigne, les mêmes pouvoirs (d’administration de la gestion courante) que les dirigeants de droit (Cour de Cassation, 6 mai 1986, n° 84-14.430) entraînant leur dessaisissement (temporaire) (Cour de cassation, 25 octobre 2006, n° 05-15.393) et total (tant au titre des actes de la gestion courante que pour les autres actes, sauf autorisation judiciaire spéciale), seul l’administrateur judiciaire représente la société.

Obligations de l’administrateur judiciaire

Le mandataire doit rendre compte de sa mission aux associés qu’il représente et ne peut imposer le secret professionnel tiré de son statut d’administrateur judiciaire (Cour de cassation, 18 novembre 2014, n° 13-19.767).

Matthieu Vincent

Avocat au barreau de Paris