Les membres des comités statutaires de SAS (comité de surveillance, comité stratégique, etc.) sont-ils des dirigeants ? (Cour de cassation, 1er février 2024, n° 21-25.175)

Un arrêt de la deuxième chambre civile (et non commerciale) de la Cour de cassation est venu jeter le trouble sur le fonctionnement des comités dans les SAS, dans une sombre histoire de cotisations sociales (Cour de cassation, 1er février 2024, n° 21-25.175).

Il est, en effet, très courant de prévoir dans les sociétés par actions simplifiées, pour protéger les intérêts des investisseurs et de leurs investissements, des comités dont l’objet est de contrôler ou surveiller la direction et la gestion de la société, notamment quant à l’usage et la destination des fonds qui ont été investis. Il s’agit d’une saine gestion d’un investisseur “avisé”.

Ces comités peuvent se voir attribuer des intitulés différents, les plus souvent d’entre eux étant comité de surveillance ou comité stratégique. Leur objet est aussi le plus souvent d’autoriser certaines opérations (qualifiées de décisions “stratégiques”, “importantes”, “qualifiées”, etc.) selon des règles de majorité, plus ou moins importantes, en fonction de l’importance et de la nature des décisions.

Il est dans l’intention des associés de conférer à ces comités qu’un rôle de contrôle et non de gestion ou de direction (à défaut, il est attribué au comité un intitulé différent tel que “comité de direction” ou “directoire”).

Or, l’arrêt précité qualifie les membres d’un comité de surveillance (president et vice-president) de dirigeants de droit ou de fait notamment parce “l’article 15 des statuts prévoit que le directoire ne peut accomplir certains actes, sans l'autorisation préalable du conseil de surveillance. Il retient que, […] cette autorisation préalable nécessaire limita[i]t, à tout moment, l'exercice du pouvoir de décision du directoire’”. C’est la stupeur pour les praticiens.

En effet, autoriser ce n’est pas décider. Lorsque les dirigeants de droit doivent obtenir une autorisation, ils le font sur la base d’une décision de gestion ou de direction qu’ils prennent. Ce n’est pas le comité qui a pris cette décision de gestion ou de direction et s’autosaisit pour l’autoriser, mais les dirigeants de droit qui la soumettent au comité. Si l’autorisation n’est pas obtenue, le dirigeant peut s’abstenir sauf à engager sa responsabilité. Ce principe n’est ni plus ni moins que celui prévu pour les sociétés anonymes bicéphales à directoire et conseil de surveillance.

Dans les sociétés anonymes bicéphales, le conseil de surveillance est en effet amené à autoriser, de droit ou statutairement, certaines décisions du directoire (voir article L. 225-68 du code de commerce : “Les statuts peuvent subordonner à l'autorisation préalable du conseil de surveillance la conclusion des opérations qu'ils énumèrent. […] Le conseil peut […] également autoriser le directoire à donner, globalement et sans limite de montant, des cautions, avals et garanties pour garantir les engagements pris par les sociétés contrôlées […]. Le directoire peut également être autorisé à donner, à l'égard des administrations fiscales et douanières, des cautions, avals ou garanties au nom de la société, sans limite de montant.”). Or, les membres du conseil de surveillance des sociétés anonymes ne sont pas des dirigeants (Cour de cassation, 12 juillet 2005, n° 03-14.045).

Même si cet arrêt n’est pas un arrêt de la chambre commerciale, il convient de comprendre ce qui a pu amener la haute juridiction à rendre une telle décision. A notre sens, il s’agit d’un concours de circonstances qui semble traduire une simulation ou fraude (que la Cour ne mentionne pas) de certains membres du conseil de surveillance pour éluder le paiement des cotisations sociales. La Cour de cassation part en effet du considérant suivant : “ayant pour seule mission de contrôler les organes de direction de la société sans en assumer la gestion, les membres du conseil de surveillance ne sont en principe pas affiliés aux assurances sociales du régime général, sauf à démontrer qu'ils exercent en réalité une fonction de direction.”

La Cour de cassation constate en effet un faisceau d’indices : la société avait été constituée initialement sous la forme d'une société anonyme dont l'actuel président du conseil de surveillance était le président directeur général avant la transformation de la société en société par actions simplifiée. Les membres du directoire sont deux membres de la famille du président du conseil de surveillance et leurs pouvoirs sonrt limitées par les statuts par la clause d’autorisation préalable. Le président du conseil de surveillance, ancien PDG de la société, “au surplus” est détenteur avec son épouse de la majorité du capital de la société et perçoit une rémunération nettement supérieure à celle des membres du directoire. Il exerçait de ce fait, tant en droit qu'en fait, une fonction de direction au sein de la société, en sus de celle de contrôle et de surveillance.

Donc l’autorisation préalable prévue statutairement ne nous parait pas suffisante pour qualifier, de plein droit, les membres d’un comité (hors comité de direction) d’une SAS de dirigeant de droit ou de fait (le terme “au surplus” utilisé pr la Cour de cassation est révélateur à cet égard). Il convient donc selon nous de ne pas donner une trop grande importance à cet arrêt vis-à-vis de la pratique des comtés dans les SAS.

Si les pouvoirs souhaités du comité risquent d’être interprétés comme empiétant sur la gestion et la direction de la société, une solution consisterait alors à ne prévoir ce comité que dans un acte extrastatutaire (pacte d’associés). Toutefois, cela ne peut exclure que les critères de la gestion de fait soient reconnus autrement, par des actes positifs de gestion ou de direction ou des circonstances qui traduisent une simulation (messages de l’ancien dirigeant ou consignes pour effectuer des virements, organiser un voyage ou signer des actes, à destination. du dirigeant de droit : Cour de cassation, 2 juin 2021, n° 20-13.735, associé majoritaire, rémunération plus élevée que les dirigeants de droit).

Matthieu Vincent

Avocat au barreau de Paris